De la défiance aux agressions : des journalistes locaux racontent

Alors que 80% des Français disent faire confiance à leurs médias de proximité, les reporters locaux, eux, connaissent des violences physiques sur le terrain. Ils ont entre 25 et 57 ans et sont journalistes de proximité. Ils ont subi agressions et intimidations sur leur territoire. Ils témoignent.

De la défiance aux agressions : des journalistes locaux racontent

Alors que 80% des Français disent faire confiance à leurs médias de proximité, les reporters locaux, eux, connaissent des violences physiques sur le terrain. Ils ont entre 25 et 57 ans et sont journalistes de proximité. Ils ont subi agressions et intimidations sur leur territoire. Ils témoignent.

Il aura fallu seulement un quart de seconde à Yannick Picard pour que son instinct de survie se déclenche. Le 28 mai 2021, un individu asperge avec un liquide le visage du correspondant judiciaire de Sud Ouest, Le Phare de Ré et Aunis TV. « Tout s’est passé très vite, j’ai senti une odeur de white spirit et je l’ai vu mettre sa main dans sa poche. J’ai directement pensé à un briquet. J’ai cru finir brûlé, alors j’ai couru instinctivement avant de tomber au sol et de me blesser. Là, il m’a aspergé d’une poudre blanche avant que des témoins interviennent », dévoile Yannick Picard. 

L’objet de l’agression : un article écrit par ce dernier en 2019 traitant de défaut de comptabilité dans une association charentaise-maritime. « Le papier concernait en partie mon agresseur. Deux ans après, il ne l’avait pas oublié. »

Entre 2018 et mars 2021, l’association Reporters sans frontières recense douze cas d’agressions physiques envers des journalistes sur le territoire françaishors violences policières. Parmi ces dernières, cinq concernent des localiers, dont Christian Lantenois, photoreporter pour L’Union de Reims, laissé ensanglanté et inconscient après avoir été pris à partie par plusieurs individus. Cette affaire, largement relayée, avait choqué et engendré une vague de soutien de la part de la profession.

Un communication impossible

« Lorsque l’on travaille en locale, on fait partie du décor humain. Nos voisins connaissent notre métier, se rappellent de nos articles, affirme Yannick Picard. Si un de nos travaux ne plait pas, les gens n’ont aucun scrupule à nous ennuyer, c’est simple de nous retrouver. » Même si ce dernier avoue « écrire moins spontanément et prendre plus de temps à réfléchir à [ses] mots », il affirme ne pas avoir changé de manière de travailler depuis son agression. 

«En tant que journaliste de proximité, on ne s’attend pas à être violenté. Mon affaire, c’est la preuve qu’on peut couvrir un sujet ultra-local et en être victime.» 

Thibaut Ghironi, éditeur à BFM DICI

Un ressenti partagé par Thibaut Ghironi. En avril dernier, alors journaliste pour Le Mémo de l’Isère, un agriculteur le prend à partie alors qu’il photographiait au bord de la route une plateforme d’ULM située dans un champ privé. Un sujet tendu sur le territoire couvert par l’hebdomadaire. « Je n’ai même pas eu le temps de me défendre, il a arraché mon appareil photo avant de le jeter », décrit le professionnel. « J’ai voulu expliquer ma démarche, mais il était impossible de communiquer. »

De cette agression, Thibaut Ghironi s’en est sorti avec quelques ecchymoses. Mais la brutalité de l’altercation reste ancrée en lui. « En tant que journaliste de proximité, on ne s’attend pas à être violenté. Mon affaire, c’est la preuve qu’on peut couvrir un sujet ultra-local et en être victime » Aujourd’hui éditeur au sein de la rédaction de BFM DICI, le journaliste prend du recul sur cet épisode. Comparé à Yannick Picard, Thibaut Ghironi n’a pas été agressé pour la réalisation d’un article en particulier. Mais uniquement pour sa position de journaliste. « Il y a une défiance générale envers les médias et lorsqu’une actu est électrique, on attire une haine incontrôlable de par notre corps de métier. » 

« Les gens n’acceptent pas le contradictoire »

D’après un sondage publié par l’Ifop en novembre 2021, le journalisme de proximité maintient pourtant une bonne image : 80 % des interrogés font confiance à leurs médias locaux dont 10 % leur font « très confiance ». Pour Guillaume Carré, journaliste web au sein du Courrier Picard, les tensions envers les localiers apparaissent souvent durant des mouvements nationaux, là où la défiance envers la presse se généralise. « Pendant des manifestations comme les Gilets Jaunes ou plus recemment les antivax, l’effet de foule fait que les localiers sont pris à partie au même titre que les autres médias. Dans ces moments tendus, les journalistes sont généralement considérés comme des menteurs, sans distinction. » 

L'étude a été dévoilée lors des premières assises de l'Audiovisuel local, le 25 novembre 2021.©PHRasesmédia

Une vision partagée par Vincent David, président du Syndicat de la Presse Hebdomadaire Régionale (SPHR). Également dirigeant du groupe Presse et Médias du Sud-Ouest (PMSO), il constate une escalade de la violence : « Elle est à la fois dans la rue mais aussi ailleurs. Par exemple, sur les réseaux sociaux cette violence est permanente donc psychologiquement, elle fait peut-être encore plus mal. »

Lors d’une session du Grand débat national à Saint-Quentin en février 2019, deux journalistes du Courrier Picard ont été sifflées et insultées aux abords de la réunion. Les manifestants accusaient le journal d’avoir participé à l’arrestation d’un des leaders du mouvement des Gilets Jaunes saint-quentinois. « Le problème, c’est que les gens n’acceptent pas le contradictoire. De la méfiance, il y en a toujours eu. Quand les gens lisent un article, ils veulent y voir leur point de vue. Si ce n’est pas le cas, ils vont se renfermer sur Facebook, pour y voir leurs idées », continue Guillaume Carré

Plusieurs formes de violences

Les réseaux sociaux sont aussi un moyen de relayer les atteintes contre les journalistes locaux. À la suite de son agression, Thibaut Ghironi a de son côté utilisé Twitter pour raconter l’altercation avec l’agriculteur isérois. Des milliers de messages de soutien lui sont parvenus et les partages se comptent par centaines. Une exposition à laquelle le reporter n’est pas familier. « Je ne dis pratiquement rien de personnel sur les réseaux. J’ai été impressionné par le nombre de confrères et de consœurs, parfois que je ne connaissais même pas, qui m’ont envoyé un message. »

Au sein de sa rédaction, ses collègues ont eux aussi été effarés par son récit. Un appui moral qu’il dit n’avoir pourtant que moyennement ressenti de la part de sa hiérarchie. « Lorsque j’ai annoncé à ma cheffe que je portais plainte, elle m’a dit ‘t’es sûre de vouloir passer par là, c’est long comme démarche.’ Alors que j’avais besoin que justice soit rendue. »

Travailler en proximité, c’est aussi devoir affronter plusieurs types de violences, parfois plus insidieuses. « Lorsqu’un localier n’a pas accès à une tribune de presse, lorsqu’un ministre, un président ou un premier ministre se déplace et où on filtre les entrées…On fait de la discrimination entre journalistes et très souvent ce sont les journalistes locaux qui en pâtissent. La violence, c’est aussi le fait de ne pas pouvoir exercer correctement notre métier », conclut le président de la SPHR Vincent David.

Cyriane Duthoit avec la participation de Léa Denet

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