Philippe Vion-Dury : « Quand tu es inséré dans les milieux militants, tu es toujours rappelé au local »

Jeune magazine national tourné vers l'écologie et l'environnement et résolument militant, Raffut consacre nombre de ses pages à l'actualité locale. Et ne dirait pas non à un partenariat avec des médias locaux...

Philippe Vion-Dury : « Quand tu es inséré dans les milieux militants, tu es toujours rappelé au local »

Jeune magazine national tourné vers l'écologie et l'environnement et résolument militant, Raffut consacre nombre de ses pages à l'actualité locale. Et ne dirait pas non à un partenariat avec des médias locaux...

Philippe Vion-Dury a été rédacteur en chef de Socialter pendant 6 ans. Avec deux collègues de rédaction, il a pris son indépendance à l’automne 2023 et cofondé Fracas, le média des combats écologiques. Comment traiter de l’actualité locale, quand le problème est mondial et son média national ? Il nous explique les arbitrages faits par sa rédaction.

Vous êtes un média national, mais votre premier numéro parle de lutte locale, et aussi du Maroc, de l’Italie, … Comment trouvez-vous l’équilibre entre les échelons de lutte ?

Vaste question. Moi, je trouve que le local permet de montrer la complexité des questions écologiques, des alliances sociales qui se forment. Prenons l’exemple du lithium. C’est très complexe. Les écolos ne sont pas butés, ils ont très bien conscience que si on refuse d’avoir des mines en France ça créera des logiques coloniales, puisqu’on en ouvrira ailleurs. Ils ne veulent pas ça. Mais dans le cas où on minerait en France, la question devient l’usage qu’on fait de la ressource. Si c’est pour l’envoyer ensuite sur le marché mondial… Non. Par contre, si c’est pour créer des filières durables ou renouvelables locales, là ça commence à devenir un arbitrage possible. Tu vois, c’est là que je trouve que le local prend tout son pouvoir sur l’éclairage de questions nationales ou de questions idéologiques plus profondes.

Si je comprends bien, Fracas ambitionne d’avoir une application locale à chaque numéro ?

Oui. Déjà, on a un format appelé « La possibilité d’une alliance », qui essaye de montrer des alliances improbables qui se font sur le territoire. On a aussi la rubrique « Antidote ». Elle va revenir à chaque fois, et souvent donner la place à l’action locale.  Maintenant, on n’est pas non plus reporter, on n’a pas cet ADN ultra « terrain ». Il faudra qu’on fasse l’effort de le valoriser. Là, notre dossier le permettait. Le prochain sera sur le carbo-fascisme, et on aura beaucoup plus de mal à y injecter une vision locale française. En tant que rédaction, on doit veiller à ne pas rentrer dans le schéma « On est à Paris, on ne parle que de sujets parisiens et urbains ». Mais, bon, quand tu es inséré dans les milieux écolos, militants, traditionnels…  Tu ne peux pas faire ça ; tu es toujours rappelé par ces victimes et ces combats. Tu es toujours rappelé au local.

Qu’est-ce que Fracas ?

Fracas est un magazine trimestriel de 132 pages, qui « vise à documenter les combats écologiques, et qui s’adresse à tous ceux que ça intéresse ». Marine Benz, Clément Quintard et Philippe Vion-Dury l’ont co-fondé après avoir quitté Socialter en octobre 2023. Financée par une campagne de crowdfunding qui a levé 160 000 € au printemps, l’équipe comporte aujourd’hui 6 personnes. La coopérative (SCOP) cherche encore son équilibre. « Notre modèle vise évidemment à ne dépendre que de nos lecteurs, mais ça prend du temps. » Majoritairement diffusé en librairie, Fracas « va essayer de compenser un certain élitisme par de la vidéo et les réseaux sociaux, qu’on espère développer rapidement ».

Est-ce qu’on peut s’attendre à des Fracas régionaux, à long terme ?

Ben, je ne connais pas très bien l’état de la presse locale, mais j’ai quand même l’impression qu’il est assez difficile de mobiliser un lectorat en-dehors des titres traditionnels. C’est un peu la croix et la bannière. Si tu dois en plus le restreindre à la question écolo… J’ai un peu du mal à y croire. Après, je connais des médias locaux, d’enquête, qui sont très écolo dans leur identité. Je pense au Postillon, par exemple, à Grenoble.

Et dans le Fracas national, un dossier concentré sur une région ?

C’est une question qu’on s’est posée. On voulait prendre à chaque fois un territoire, voir les flux entrants et sortants… On avait pas mal d’idées qui gravitaient autour des questions de territoire. Ceci étant, aujourd’hui, on a une question de place. Notre public va du militant de terrain, au syndiqué, en passant par un public qui attend une matière assez intello… On a déjà beaucoup de bouches à nourrir, sans compter la question budgétaire. Tu ne débarques pas sur un territoire comme ça, en comprenant tout. Je pense à ZED qui, eux, vont s’installer sur le territoire pendant des mois pour écrire. On ne pourrait pas déménager la rédac, il faudrait nous reposer sur des réseaux de correspondants. Aujourd’hui, on ne les a pas. Quand tu n’as pas beaucoup de pages à donner, les collaborations ne peuvent pas être très régulières. Donc la première question qui se posera, c’est celle de la pagination. On voudrait passer de 132 à 148, voire un peu plus. C’est ce qui permettrait d’accorder plus de place à ces sujets. Si on pouvait, demain, être sûr que c’est viable économiquement, on le ferait.

L'équipe de Raffut. DR

Vous couvrez un territoire qui est immense. Comment vous tenez-vous informés des luttes et des actions locales ?

Ben écoute, ça, c’est notre réseau. [rires] On a composé un comité́ éditorial, avec une dizaine de personnalités d’origine (politique) différente, mais toujours des gens de terrain. Par exemple Léna Lazare, ou Julien Bazam. Et ensuite, c’est notre réseau personnel. Tu l’as évoqué tout à l’heure, Victor Vauquois qui intervient dans l’un des papiers du dossier appartient à Terres de lutte. Ce sont des gens assez proches de Fracas et qui ont un agenda militant participatif. Typiquement, c’est ce genre d’interlocuteurs et d’outils qu’on contacte régulièrement et qui nous tiennent au courant de ce qui se passe sur les territoires. L’info remonte par capillarité. Ça demande de passer du temps avec les gens, de prendre un café, un verre, d’échanger… Et c’est là que tu prends la température.

Dans votre édito, vous écrivez que les médias de masse ont permis une « dilution » de l’écologie. Dans un monde idéal, que feraient ces médias de masse différemment ?

Dans un monde idéal, y aurait-il des médias de masse déjà ? Il y a les trois choses qui me paraissent importantes. Déjà, présenter l’écologie comme chose de systémique. La deuxième, c’est de considérer l’écologie comme quelque chose de politique, et pas de technique. Et le troisième, celui sur lequel on pourrait vraiment, vraiment faire un pas de géant, ce serait de présenter honnêtement la diversité des points de vue de l’écologie et surtout, de représenter l’écologie radicale.

Un mot à ajouter pour les professionnels de la PHR et la PQR qui nous lisent ?

Oui. Je leur dirais de contacter un peu les rédactions nationales comme nous pour faire des trucs ensemble. En fait ça se fait extrêmement rarement d’avoir un média local qui propose des co-publications, des choses comme ça, et je trouve ça dommage parce qu’il y a plein de sujets locaux qui dépassent clairement leur cadre local et illustrent une thématique nationale hyper importante. Ça serait cool d’avoir des complémentarités plus fortes. Voilà. C’est un appel à la prise de contact !

Propos recueillis par Cécile Marchant

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