Dans la vallée de la Drôme, à 25 kilomètres de Valence, la petite ville de Crest, avec sa majestueuse tour carrée et son tout aussi historique journal local, le Crestois, né avec le siècle dernier, en 1900. Cent-vingt-trois ans de reportages, de récits, d’animation de la vie locale qui étaient à deux doigts d’arriver à leur terme.
« La SARL qui gère le journal« , commente Laure-Meriem Rouvier, journaliste au Crestois, « s’occupait du titre mais aussi de l’imprimerie de labeur. » Comme c’est souvent le cas en PHR (presse hebdo régionale), le journal local avait été créé comme une activité supplémentaire pour faire tourner les machines en plus de l’impression des affiches et autres tracts. Mais à Crest comme partout en France, l’impression est plombée par la désaffection des clients et par la désastreuse hausse du prix du papier de 2022.
Résultat : la SARL est au plus mal, avec d’un côté un journal qui se porte plutôt bien, avec 2094 exemplaires vendus en moyenne (ACPM 2022) dont un bon millier d’abonnés, et de l’autre une imprimerie avec tous les voyants au rouge.
Le passage en Scop demandé
« Quand je suis arrivée au Crestois au printemps dernier« , explique Laure-Meriem Rouvier, « j’ai rapidement vu que les machines autant que les hommes étaient usés. » Le propriétaire, Jean-Baptiste Bourde, est en effet conscient des difficultés de l’entreprise qui est dans la famille depuis le début, soit cinq générations. Et très vite, un plan de sauvetage se met en marche.
Problème : si on veut reprendre une entreprise en difficulté, il faut récupérer ce qui marche bien, mais aussi ce qui ne va pas. « Le seul moyen était donc de placer la SARL en redressement judiciaire« , ce qui se fit au mois de mars 2023. Avant de se lancer désormais dans le nouveau projet, à savoir la constitution d’une Scop (Société coopérative d eproduction) qui ne reprendra que l’activité presse. Le dépôt des offres se terminera le 22 mai prochain et le le tribunal devrait se prononcer tout début juin, avec, chacun l’espère, l’accord de reprise du titre par la Scop.
« Il fallait donner un nouveau souffle au titre, confie Laure-Meriem. et le directeur est complètement avec nous dans ce projet. De toute manière, sans lui, nous n’aurions jamais pu le faire.«
Les journalistes maîtres du titre
La Scop offre un avantage indéniable : « l’entreprise appartiendra à 51% aux trois journalistes, dont je fais partie« , note Laure-Meriem Rouvier. « J’aurais la double casquette de gérante et de rédactrice. Et les journalistes, quel que soit l’apport de chacun, détiennent chacun une voix, tout en ayant une majorité lors des prises de décision. »
D’autres partenaires entrent également, de manière minoritaire, dans le capital, comme le Fonds pour une presse libre, initié par Médiapart.
La nouvelle équipe souhaite également intégrer la population dans ce projet. Ainsi, elle a décidé de créer l’Association des amis du Crestois, dont l’assemblée générale constitutive aura lieu le 26 avril prochain. Le but de cette association ? « Soutenir Le Crestois, journal de pays indépendant, en accompagnant son développement et sa diffusion, par tout moyen matériel et intellectuel ».
Coup de fouet sur le numérique
Quel sera l’avenir du journal, une fois la Scop créée ? En ce qui concerne la version papier, l’hebdo sera désormais imprimé sur des rotatives à Vitrolles. Mais, chacun le sait, le socle des adeptes du papier diminue chaque année. Déjà, un cinquième du millier de souscripteurs ont opté pour la version numérique. Et la nouvelle équipe veut donner un grand élan dans cette direction.
« L’équipe sera constituée par sept personnes, soit six équivalents temps plein, dont trois journalistes et une personne qui sera dédiée au web. » Avec un sérieux challenge pour cette dernière : transformer le vieux site « obsolète, pas pratique et à l’ergonomie pourrie » en fer de lance du Crestois. Avec une attention toute particulière portée sur ceux qui suivent l’actualité locale depuis leur smartphone…
La nouvelle équipe compte aussi évidemment sur la publicité pour renflouer les caisses, en privilégiant la contrats avec les entreprises locales, que ce soit pour le print comme pour le web.
Le titre conserve aussi son habilitation pour les AJL. « Le passage en Scop nous permet aussi d’éviter le rachat par un gros groupe de presse qui pourrait transformer le titre en coquille vide, en ne gardant de l’intérêt que pour les annonces légales…«
Enfin, l’équipe va également frapper à la porte des ministères et autres instances susceptibles de leur octroyer des subventions, dans le cadre notamment des aides à la presse. Des aides qui auront là toute leur justification, pour que la belle vallée de la Drôme puisse continuer à posséder son média local qui anime la communauté depuis 123 ans.