Le nouveau visage du journalisme de proximité à l’ère du numérique

Course à l'audience sur Internet, réseaux sociaux comme support de communication et une frontière entre journalisme et publicité qui s'inscrit en pointillés : le parti-pris des médias pour le Web first instaure de nouvelles règles, de nouveaux fléaux, et de nouvelles ambitions de travail.

Le nouveau visage du journalisme de proximité à l’ère du numérique

Course à l'audience sur Internet, réseaux sociaux comme support de communication et une frontière entre journalisme et publicité qui s'inscrit en pointillés : le parti-pris des médias pour le Web first instaure de nouvelles règles, de nouveaux fléaux, et de nouvelles ambitions de travail.

Cet article a été écrit dans le cadre d’un séminaire porté par l’Université de Lille et l’ESJ Lille, portant sur la presse de proximité, les territoires et l’évolution technologique.

Des GigaOctets d’informations à portée de swipe, la place des médias mainstream en pleine mutation et des supports de communication toujours plus innovants : la révolution induite par
l’utilisation des smartphones a renversé le microcosme du journalisme de proximité. À tel point que ses principaux acteurs ont dû innover pour évoluer et ne pas subir le changement.
La plate-forme Actu.fr, qui rassemble près de 90 hebdos et 25 pure-players sur un seul et unique site Internet, illustre la volonté de transition numérique adoptée par les entreprises
de presse. « Lancer actu.fr a été une révolution énorme dans la manière de construire l’information, expose Nicolas Demollien, rédacteur en chef de Lille Actu. Auparavant, chaque rédaction de PHR avait son propre site internet et des audiences assez faibles. » Et depuis la mise en commun, les résultats n’ont fait que croître, permettant à ce site web de se classer à
la troisième position des sites de presse régionale les plus consultés en Janvier 2022 (78M de visites, devant Ladepeche et ses 68 M, Sudouest et ses 45M, La Voix du Nord et ses 24 M, chiffres ACPM).

S’adapter aux canaux

Derrière cette insolente réussite se cache une stratégie éditoriale rondement menée : celle d’adapter les formats des contenus aux canaux utilisés. « Avant, on avait une semaine pour travailler mais maintenant nous sommes en flux continu, admet Nicolas Demollien. Notre écriture n’est plus adaptée au format papier, donc on se doit d’effectuer ce travail supplémentaire de réécriture. » Sur ce modèle, les groupes de presse régionale ont à leur tour décidé de se saisir des nouveaux formats de communication : les réseaux sociaux. Le groupe Nord Littoral, filiale du groupe Rossel, réussissait à posséder la première communauté Facebook d’un journal hebdomadaire grâce à sa page La Semaine dans le Boulonnais, tandis que leur concurrent quotidien, La Voix du Nord, cumule désormais plus d’1,6M de followers sur Facebook, Twitter, et Instagram. Et cette audience potentielle renverse les anciens codes de la proximité. « La Voix du Nord possède une page Facebook pour chaque édition locale ainsi qu’une page généraliste, souligne Stéphanie Zorn, rédactrice en chef adjointe à la Voix du Nord. Nous nous sommes également lancés sur Instagram, pour reprendre les codes des jeunes et toucher un public bien différent, qui a tendance à ne pas nous lire ni sur le papier, ni sur Facebook. Avant je me disais souvent qu’il fallait écrire pour son lecteur, mais je pense qu’il faut maintenant écrire avec lui, donc s’adapter à lui. »

De gauche à droite, les universitaires Gersende Blanchard et Bruno Raoul, Nicolas Demollien (rédacteur en chef de Lille actu), Ahmed Kara (responsable marketing et éditorial Nord Littoral) et Stéphanie Zorn (rédactrice en chef adjointe de la Voix du Nord), dans la grande bibliothèque de l'ESJ Lille.

Influenceurs, vraiment concurrents ?

Des décisions prises avec un train de retard par rapport au phénomène des influenceurs, ces nombreuses personnalités qui utilisent les audiences de leurs réseaux sociaux pour gagner de l’argent grâce à la publicité. Dans ce contexte, la course au profit sur les médias sociaux instaure une concurrence immense envers les médias traditionnels, dont la vitalité économique repose encore sur le papier. « Notre groupe se pose beaucoup de questions sur la nature de nos concurrents, souligne Ahmed Kara, responsable marketing et éditorial du groupe Nord Littoral. Je pense qu’on peut dire que les influenceurs locaux en sont au sujet de la publicité. Les grandes entreprises ont maintenant tendance à inviter des influenceurs pour faire leur promotion, alors qu’ils passaient par les journalistes pour faire parler d’eux avant. »

Associer journalisme et marketing

Ainsi, la frontière entre information, communication et journalisme tend à s’amincir. « Les influenceurs ont l’avantage d’être totalement libres sur des supports qu’ils maîtrisent », relève Nicolas Demollien. Ahmed Kara surenchérit à propos d’un nouveau média en lien avec la Voix du Nord : « Vozer a été créé il y a cinq ans dans le but de satisfaire une cible précise. Et sur ce site, on retrouve par exemple des publireportages. Je pense que si un journal s’oppose à toutes les réflexions du domaine du marketing, il est voué à s’écrouler. La mission du journaliste est de produire du contenu, mais il doit aussi se préoccuper de la manière dont il sera aussi diffusé. »
Un constat que partage Stéphanie Zorn : « Ces jeunes qui prennent des initiatives personnelles sont inspirants. Je pense que maintenant, les services de rédaction et de marketing doivent travailler ensemble pour obtenir un nouveau modèle économique », et ainsi anticiper la chute annoncée des ventes du papier. Avant peut-être de voir les accords sur les droits voisins signés par Google offrir aux médias, mainstream ou innovants, d’importants « leviers de business pour les entreprises de presse », selon les propos d’Ahmed Kara. 

Jean-Baptiste Ployart

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