Le département de l’Ain vient de perdre ce jeudi 6 novembre 2024 l’un de ses titres de presse locale. La Tribune républicaine, éditée depuis 122 ans à Bellegarde-sur-Valserine (connu depuis quelques années sous le nouveau nom de Valserhône) vient en effet de publier son tout dernier numéro.
Le titre était une des composantes du groupe Le Messager, qui appartient à Rossel Médias (la Voix du Nord, l’Union, Paris Normandie, Nord Littoral…. Depuis quelques années, sa diffusion était très nettement orientée à la baisse, comme la plupart des hebdos locaux en France. Ainsi, en un peu plus de trois ans, entre 2020 et 2024, elle est passée de 2136 à 1640 exemplaires hebdo selon les chiffres certifiés et publiés par l’ACPM (Association pour les chiffres de la presse et des médias). La chute en dessous de la barre symbolique des 2000 exemplaires avait engendré, il y a peu, la perte de l’accréditation pour les annonces légales décidée en préfecture, privant ainsi le journal d’une source de revenus importante.
Dans l’édition de ce jeudi 7 novembre, une longue interview est accordée en page 4 à Fanny de Larue, la directrice générale déléguée du groupe Le Messager, qui explique les grandes lignes des raisons de la disparition de l’hébdo. Avec un constat implacable : « le titre n’était plus rentable. »
« Quand une entité, explique-t-elle, ne gagne plus d’argent ni sur son premier canal qu’est la ressource provenant des acheteurs, ni sur la publicité et que les projections montrent que la tendance ne s’inversera pas, on se doit de prendre des décisions pour ne pas fragiliser l’ensemble de l’entreprise. »
Elle revient également sur la baisse de la diffusion, malheureusement continue depuis une dizaine d’années. « Une baisse structurelle qui se situe entre 6 et 7% annuellement (…) avec de grandes accélérations » récemment. Et les abonnés numériques sont aujourd’hui loin de compenser la diminution du print. Une vérité qui se vérifie dans tous les titres de PHR en France.
Et la directrice adjointe est extrêmement lucide sur ces revenus digitaux : « clairement, les ménages font aujourd’hui un choix entre leur abonnement Netflix et leur abonnement à une marque de presse.«
« C’est un échec collectif »
Au-delà de l’aspect économique, qui concerne le titre mais aussi ses salariés (2 journaliste et un commercial, auxquels il faut ajouter 8 correspondants locaux de presse), c’est aussi un enjeu démocratique qui apparaît avec cette disparition. « Perdre une marque de presse, fermer un média est un échec collectif« , regrette Fanny de Larue. » Celui évidemment des équipes, le nôtre en tant que dirigeants d’entreprise, mais j’y adjoins tout autant les forces vives du territoire que nous allons quitter.«
« Décideurs politiques, économiques, sociaux, sportifs et locaux, qui sont les premiers à déplorer la fin d’une activité mais qui n’ont pas entendu la volonté que nous avions à travailler ensemble pour que la Tribune persiste à incarner le territoire avec ses forces et ses différences. »
« Je pense que de ne pas avoir de médias professionnels, équilibrés, donnant une part à l’information locale et à sa contradiction est un risque pour l’équilibre démocratique.(…) J’appelle de tous mes vœux, nos territoires et décideurs à être particulièrement attentifs à l’avenir de leurs médias locaux. Faute de quoi, au-delà de la seule din d’un titre de presse hebdomadaire régionale, ce sera une place plus nette encore à la désinformation qui sera faite.«
A noter toutefois : le département de l’Ain ne sera pas un « désert médiatique » à proprement parler, puisque le Pays Gessien (autre titre du groupe le Messager) et la Voix de l’Ain (Sogémédia) sont présents, en plus du Dauphiné libéré (groupe Ebra).
Le cas de la Tribune républicaine serait-il unique ? Il est fort à craindre que non. A de rares exceptions près, les titres de presse hebdomadaire régionale sont tous dans le rouge. Le marché publicitaire est morose, localement comme nationalement. Et de plus en plus de décideurs, qui communiquaient à travers de ces médias, optent pour les réseaux sociaux ou les influenceurs, avec tous les risques que cela comportent en matière de qualité et de sérieux de l’information. Enfin, les abonnements digitaux, hormis pour une poignée de titres nationaux, sont loin de compenser la perte de ceux générés par le print.
Des abonnements digitaux par ailleurs extrêmement volatiles à chaque décision éditoriale. Cela s’est vérifié il y a quelques jours lorsque le Washinton post a perdu en 48 h 200000 abonnés (soit environ 10%) lorsque le titre a refusé de prendre parti pour l’un ou l’autre des candidats à l’élection américaine…