Julien Kostrèche est le directeur d’Ouest Médialab, un labo des médias locaux basé à Nantes, et créé avec plusieurs missions. Tout d’abord, il met en réseau des milliers de professionnels des médias et du numérique. Ensuite, le labo a aussi une mission de veille sur l’innovation, le développement et la transition des médias locaux. Ouest Médialab propose également des formations professionnelles, ateliers ou séminaires pour permettre aux rédactions de développer de nouvelles pratiques journalistiques. Enfin, il encourage « le travail collaboratif et pluridisciplinaire en mode projet pour favoriser l’expérimentation de contenus, formats ou modèles innovants« .
Suite à sa participation à l’atelier organisé au Congrès de la PHR « comment engager sa communauté en tant que média local », Julien Kostrèche a répondu à quelques-unes de nos questions…
Pouvez-vous revenir sur votre participation à l’atelier ?
L’engagement de la communauté, c’est l’un des sujets sur lesquels on est en veille avec Ouest Médialab et en particulier pour le Festival de l’info locale, que l’on organise chaque année. On repère beaucoup de projets dans ce domaine au niveau des médias locaux que ce soit en France ou à l’étranger. C’est un terrain fertile sur lequel il y a beaucoup d’innovations.
Qu’est-ce que l’engagement du public selon vous ?
Le terme d’engagement est intéressant parce qu’il vient davantage du marketing. Dans l’idée d’engagement, il y a aussi celle de transformer le lecteur en abonné. J’aime bien ajouter le terme “interaction” qui est peut-être plus du côté de la rédaction. Après, la palette des échanges est très large. On peut partir de simplement demander l’avis ou laisser les commentaires ouverts sur les articles. On peut aussi lancer des appels à témoignages, ce qui se fait beaucoup dans les médias et notamment par le biais des médias sociaux. On peut aller chercher de l’expertise auprès de ses lecteurs. Je pense à Médiacités qui a fait toute une série sur l’alimentation dans les villes avec 500 lecteurs mis à contributions puis qui s’est trouvée à rencontrer des experts au sein de sa communauté qui pouvaient les aider sur ce sujet.
« Je pense qu’on a des journalistes qui sont de plus en plus à l’écoute de leur public.»
Il existe également des rencontres avec les lecteurs, le pubilc ?
On peut demander au public de monter à bord de la rédaction. Nord Littoral en a parlé lors de l’atelier, ils vont régulièrement sur les plages avec un véhicule mobile. Il y a pas mal de médias locaux qui font ça. Je pense à France 3, au Télégramme aussi. C’est, quelque part, délocaliser la rédaction. Ça peut se faire ponctuellement, en été, une fois par jour, ça peut être des opérations spéciales. Le Nouvelliste par exemple arpente chaque une semaine une ville. Ca peut se faire avec des moyens très légers. Je pense à un journaliste de CBC qui se pose dans un lieu public, va avoir sa bannière au nom de son média où il est écrit « tell me your story » (« racontez-moi votre histoire« ). Il y a toutes ces formes d’interactions, de rencontres, qui peuvent se faire en ligne aussi mais qui ont toutes leurs saveurs quand elles se font en réel.
Et puis derrière on peut aller plus loin. On peut demander au public de s’engager sur des actions. Le Guardian avait fait une super campagne sur le climat pour amener ses lecteurs vers les écogestes. Et on peut leur demander d’être un peu contributeurs à la rédaction, d’envoyer des photos. Pourquoi pas de tenir un blog.
Comment cet engagement est-il ressenti chez les journalistes ?
Je pense qu’on part d’assez loin parce qu’au départ c’était l’envoi du courrier au journal ou le champ commentaires sur la version Internet. Et souvent, pour le journaliste, ce n’était pas forcément son travail que d’y répondre. Les journalistes constatent que, de toute façon, avec les médias sociaux, il y a plein de possibilités pour les gens de donner leur avis et qu’il faut être à l’écoute. Il y a un climat de défiance à l’intention des médias. Il y a des enjeux économiques. Les journalistes en sont aussi conscients et donc quand ils sont soucieux de la viabilité de leur titre, ils se disent que la relation au lecteur peut amener vers plus d’abonnés de main. Tous ces ingrédients font que je pense qu’on a des journalistes qui sont de plus en plus à l’écoute de leur public.
Engager sa communauté, lui donner un nouveau rôle peut-il créer des tensions ?
Ca peut créer des moments de tension. Parce qu’autant, du côté marketing, on va dire que le lecteur, le spectateur est roi et on va l’écouter et faire ce qu’il attend mais quand on est journalistes, il y a toujours un moment où on peut considérer que le sujet est important, qu’il va peut-être déplaire, ce n’est peut-être pas ce que les gens ont envie de voir ou d’entendre mais il faut en parler. Il y a toujours une tension possible entre ces deux bouts du média mais quand c’est fait en bonne intelligence, c’est un terrain super fertile pour faire des projets qui, à la fois servent la marque, à la fois le journalisme. C’est intéressant de voir ça aujourd’hui. Je pense à Mediavivant par exemple, comment ils pensent leur média aujourd’hui en renversant quelque part la relation avec le public.
Y-a-t-il d’autres difficultés quant à cet engagement ?
La difficulté aussi, c’est que ça prend du temps l’interaction. On a beaucoup échangé avec Sophie Cazals, qui est rédactrice en chef en charge de l’engagement des lecteurs à Nice-Matin. La première fois qu’elle nous a dit que, dans l’équipe, cette interaction pouvait prendre 30 à 50 % du temps des journalistes, ça peut surprendre des rédacteurs en chef, des éditeurs. Ils peuvent être séduits et se dire « il faut qu’on aille vers ce type de relations » mais il faut être prêt à y mettre le temps nécessaire et à se dire à la sortie qu’on a peut-être moins de contenu mais on mieux de contenu, un contenu qui est mieux accompagné. Un contenu qui est nourri par notre public aussi bien en amont qu’en aval avec un public qui sera peut-être ambassadeur du contenu qu’on diffuse.
« Il y a toujours une tension possible entre ces deux bouts du média mais quand c’est fait en bonne intelligence, c’est un terrain super fertile pour faire des projets qui, à la fois servent la marque, à la fois le journalisme.»
Julien Kostrèche, directeur d’Ouest Médialab
Quelle différence entre l’engagement dans un médial local et un média national ?
C’est plus difficile en national si on fait de l’info généraliste. C’est plus difficile de trouver les leviers d’engagement sauf si on a une marque avec une ligne éditoriale très forte qui peut être militante aussi où les gens vont se retrouver dans la ligne éditoriale et dans les engagements. Il y a davantage de leviers en local. On peut aller plus facilement vers des rencontres physiques car on habite la même région, on respire le même air. C’est un peu plus évident d’aller vers une interaction qui ne soit pas que via le biais du numérique. Puis quand on est un média local on est souvent un acteur de son territoire. On peut avoir des actions, des initiatives pour valoriser son territoire ou défendre, mettre en avant les initiatives qui y ont lieu. Il y a plus d’accroches et de facilités pour créer des rencontres. Les journalistes ont en tête que les personnes avec qui ils interagissent, ils peuvent les rencontrer plus facilement. Le local est aussi un capital confiance plus grand, parce que c’est à côté de chez nous, on sait qui produit, on peut voir les gens. Pour les médias locaux, il y a ce levier de dire « on est engagés dans la transformation du territoire, on est face à des défis et en tant que médias on a notre rôle à jouer pour faire connaître les solutions qui existent, les projets ». La relation avec le public peut se faire d’autant plus facilement avec ce partage de préoccupations. Je ne dis pas que ça n’existe pas en national, peut-être que c’est un peu plus polarisé et moins de la ce pour le vivre-ensemble. Je pense qu’en local on est davantage capable de mettre les gens autour de la table et de mobiliser.