Depuis la création du journal en 2003, nous n’avons jamais eu aussi peu de candidatures spontanées pour un poste. Avant, nous en recevions trop. La seule difficulté était de trier les CV. » À Castres, Pierre Archet, fondateur et rédacteur en chef du Journal d’Ici peine à remplir sa locale d’Albi. Depuis plusieurs mois, six journalistes sont passés par la rédaction, sans rester. Résultat : les deux postes à pourvoir sont toujours vacants. Mais pas question pour le dirigeant de baisser ses exigences dans les candidatures. « Recruter n’importe qui, c’est accepter de publier n’importe quoi, affirme-t-il. Donc non, on recrute les journalistes lorsqu’on pense qu’il y a un savoir-faire. »
La situation du Journal d’Ici n’est pas un cas à part. En 2010, près de 37 415 cartes de presse étaient délivrées par la Commission de la carte d’identité des journalistes (CCIJP). Douze ans plus tard, leur nombre a baissé pour atteindre les 34 476 titulaires du précieux sésame. Pourtant, des emplois dans le journalisme local, il y en a. Mais les conditions n’attirent pas forcément les diplômés d’écoles de journalisme.
« Les jeunes qui arrivent en presse quotidienne et hebdomadaire régionale (PQR-PHR) sont extrêmement motivés pour s’exercer sur le terrain. Mais rapidement, ils expriment le sentiment d’être pris pour de la chair à l’information. Ils vont être un élément dynamique le temps d’un contrat déterminé, puis ils seront mis dehors sans transition », décrit Jean-Marie Charon, sociologue spécialiste des médias.
Payer plus pour recruter plus ?
Dans son enquête sociologique intitulée Hier journalistes, ils ont quitté la profession, le chercheur décrypte le désintérêt d’une génération pour le métier de journaliste. À travers un article intitulé « Jeunes : ils abandonnent le journalisme » et publié dans le mensuel Alternatives économiques, Jean-Marie Charon pointe l’incohérence entre un salaire proposé pour les jeunes diplômés d’écoles de journalisme et une charge de travail intense. « Il faut prendre au sérieux ces niveaux de rémunération, note-t-il. Pour une filière traditionnelle, de bac+3 à bac+5, tourner autour d’un Smic dans une filière aussi élitiste au concours d’entrée ne fait pas rêver les jeunes. »
Un verdict qui tranche toutefois avec le nombre de candidats à la licence professionnelle de presse de proximité de l’ESJ de Lille. Il y a quelques années, le chiffre plafonnait à une quarantaine alors que, depuis deux ans, il approche la centaine de candidatures. Le passage à l’alternance est sans aucun doute un facteur primordial à cette inflation.
De son côté, Pierre Archet a fait le choix de donner un coup de pouce pour la rémunération afin d’accroître l’attractivité de sa rédaction. « Une entreprise est libre de faire évoluer et d’adapter ses rémunérations à ses besoins de recrutement. On sait très bien qu’aujourd’hui, recruter à la grille est très difficile », admet le journaliste castrais.
Rendre attractive la ruralité
La presse locale se renouvelle, cherche à innover, mais peine à recruter. Ismène Vidal, éditrice du groupe Sogemedia, constate elle aussi une baisse des candidatures depuis plus de dix ans. Selon cette dernière, la faible rémunération est un facteur, mais le souci de recrutement en PHR s’ancre dans une problématique plus profonde. « On ne parviendra pas à rendre attractive la PHR tant que les zones rurales n’attireront pas les jeunes », avance-t-elle.
Toutefois, la pandémie de Covid-19 pourrait créer un effet balancier. « Durant ces deux dernières années, beaucoup se sont rendus compte qu’il était agréable de vivre dans une petite ville, loin des métropoles et de la pollution. Selon moi, c’est ainsi que les rédactions doivent attirer les jeunes : avec un discours positif et en mettant en valeur les atouts de la PHR et de la vie en ruralité. » Atouts qui incluent un coût de la vie bien plus abordable que les grandes villes.
Pour le moment, peu de postes sont vacants concernant les éditions dont Ismène Vidal s’occupe. C’est l’inverse de Pierre Archet en manière de recrutement : « J’ai deux postes à pourvoir, actuellement occupés par deux jeunes en contrat à durée déterminée (CDD). Je leur ai proposé de continuer en contrat à durée indéterminé (CDI), elles ont toutes les deux refusé car elles ne veulent pas s’engager. En trente ans de carrière, je n’ai jamais vu ça. C’est très générationnel. »
« Traditionnellement,
des groupes de presse
comme les nôtres sont
des éleveurs de champions.»
Jean-Charles Verhaeghe
Directeur général adjoint de Nord Littoral
Une nouvelle génération de journalistes qui semble remettre en cause la pensée d’un métier à sacrifices. « Ce travail est une passion et je l’aime toujours autant mais je me demande si les jeunes qui entrent à l’école ne fantasment pas un peu trop le métier en oubliant d’appréhender les contraintes. Les difficultés de ce métier surpassent l’amour de ce dernier », souligne Laurent Watiez, ancien journaliste à La Voix du Nord devenu aujourd’hui attaché parlementaire du secrétaire national du Parti communiste français Fabien Roussel. Chef des pages métropole du quotidien nordiste jusqu’en 2017, Laurent Watiez a délaissé sa rédaction après trente ans de bons et loyaux services.
« J’ai ressenti une certaine lassitude. Pas du métier, mais les fonctions que j’occupais m’ont beaucoup éloigné du terrain. Ça devenait très lourd. »
Pourtant, le terrain en presse locale est un atout phare pour attirer des jeunes journalistes selon Jean-Charles Verhaeghe, éditeur au sein du groupe Nord Littoral. « Traditionnellement, les groupes de presse comme les nôtres sont des éleveurs de champions. Les néo-diplômés viennent pour affronter toutes les réalités possibles. » Dans les dix hebdomadaires du groupe, la moyenne d’âge est basse, aux alentours de trente ans. Le turnover entre les rédactions, lui, est fréquent. Mais, au même titre que Sogemedia et le Journal d’Ici, les candidatures ne débordent pas des boîtes mails.
Pour Jean-Charles Verhaeghe, la potentielle fin de la philosophie du métier-passion est une des causes principales des difficultés du recrutement en PHR. Issu d’une génération de journalistes qui ne se posaient pas la question des « sacrifices faits pour leur travail », l’éditeur tente d’associer la réalité économique des titres de PHR et un équilibre entre vie professionnelle et personnelle. « Il y a aussi une prise de conscience après les confinements. À nous de trouver un mode d’organisation pour que nos collaborateurs s’épanouissent, que l’oxygène qu’on prend à l’extérieur profite au boulot. Ce qui ne veut pas dire qu’on va vendre de fausses promesses. Oui, faire du journaliste nécessitera toujours un engagement réel », achève-t-il.
Laura Ouvrard & Cyriane Duthoit
Article à lire également sur PHRases #27, le magazine de la licence professionnelle Presse de proximité ESJ Lille.