Olivier Aballain : « il faut transformer le scepticisme climatique en négationnisme »

Et si les journalistes ne tendaient plus le micro aux climato-sceptiques ? À l’occasion des Assises du journalisme de Tours, qui avaient pour thème le changement climatique, la question s’est posée. Pour certains, cela ne fait aucun doute.

Olivier Aballain : « il faut transformer le scepticisme climatique en négationnisme »

Et si les journalistes ne tendaient plus le micro aux climato-sceptiques ? À l’occasion des Assises du journalisme de Tours, qui avaient pour thème le changement climatique, la question s’est posée. Pour certains, cela ne fait aucun doute.

Olivier Aballain est journaliste scientifique et travaille à l’École Supérieure de Journalisme de Lille (ESJ Lille). Depuis 2017, il y est notamment co-responsable du Master II Climat & Médias. Titulaire d’un master en géochimie et également étudiant à l’ESJ par le passé, il milite pour rapprocher la science et le journalisme.

Quelle est la particularité de votre Master II Climat & Médias ?
Il est unique en son genre. C’est une formation à destination d’étudiants en journalisme comme de communicants en poste. Pour chacun, l’objectif est le même : transmettre correctement la vérité climatique auprès de la société civile. Tous nos modules d’enseignement sont ainsi co-pilotés par un chercheur et un journaliste. C’est cette complémentarité qui permet à nos élèves d’avoir une bonne compréhension du changement climatique.



Vous parlez de la vérité climatique… Mais cette vérité n’est pas la même pour tout le monde…
L’urgence climatique, ce n’est plus un sujet. C’est une réalité incontestable, étayée par la science. Sur le nucléaire, des débats demeurent, y compris dans la sphère scientifique. Mais pas en ce qui concerne l’importance du changement climatique, ses causes et ses conséquences.

Pourtant, certains climato-sceptiques continuent de remettre en doute cette vérité. Les médias doivent-ils continuer à leur donner la parole ?
On laisse la parole à des gens qui sont inaudibles. Il faut transformer leur scepticisme en négationnisme et arrêter de relayer des positions qui ne sont contredites par la science. C’est ce qu’a fait le Guardian, célèbre quotidien britannique. La rédaction a arrêté de parler de climato-septiques, et évoque désormais des climate deniers (comprendre « négationnistes du climat »).

Ne craignez-vous pas qu’en refusant de leur donner la parole, cela alimente des théories du complot ?
Continuer à leur donner la parole, y compris pour ne pas leur donner de grain à moudre, c’est refuser de fermer la porte. Et donc continuer à alimenter le troll (comportement sur internet visant à générer des polémiques, NDLR). C’est le cas sur les réseaux sociaux : vous ne pouvez pas arrêter une discussion avec un troll. La seule solution, c’est de couper net. Lors d’un débat pour les élections régionales auquel j’ai pu assister cette année, un candidat a repris les arguments de Trump à propos du changement climatique. Selon lui, parler de transition énergétique, c’était faire le jeu de la Chine, bien contente que la France et l’Occident se mettent des menottes aux mains pour freiner le changement climatique. Je craignais que l’intégralité du débat se porte là-dessus. Finalement, personne n’a repris ses propos, ni la modération, ni les autres candidats. Nous avons refermé la porte. C’est comme cela que nous pourrons avancer.

«Éviter les thèses climato-sceptiques, c’est pouvoir se concentrer sur les solutions. » 

Olivier Aballain, co-responsable du Master II Climat & Médias
@ESJ Lille

Est-ce que cela ne va pas à l’encontre de la déontologie journalistique et notamment de la valeur d’équité ?
Il y a une ligne de crête à trouver. La question que doivent se poser les journalistes, c’est de savoir s’ils veulent continuer à donner la parole à des gens qui nient la réalité. C’est en effet une question de déontologie journalistique. Aux États-Unis, certains médias se la sont posés, lorsque les partisans pro-Trump ont avancé des contre-vérités sur le trucage de l’élection présidentielle. Après avoir vérifié et n’avoir constaté aucune irrégularité, certains d’entre eux ont décidé d’arrêter de colporter leurs thèses. Quitte à se couper de ces gens.

Est-ce que cette ligne de crête est si simple à trouver ?
L’urgence climatique est une évidence mais plusieurs éléments restent encore en débat. Il faut faire cesser les marchands de doute. Dans les années 50, le célèbre cigarettier américain Philip Morris avait constaté que leurs produits étaient responsables de la hausse des cancers du poumon dans le monde. Plutôt que de nier, ils ont sans cesse nuancé, évoquant les autres facteurs de cette augmentation. Certains tentent de faire pareil avec l’écologie. Aux Assises du journalisme, un spécialiste de la biodiversité m’a confié qu’il y a dix ans, à la question de savoir quelle était la part de la responsabilité humaine dans la chute de la biodiversité, il répondait toujours : « c’est compliqué, c’est multifactoriel. » Aujourd’hui, il affirme que la responsabilité humaine est majoritaire. Il faut affronter la réalité.

En mettant l’urgence climatique au cœur du débat, les journalistes ne risquent-ils pas de devenir des ayatollahs de l’écologie ?
C’est justement l’écueil qu’il faut éviter. On reproche d’ailleurs souvent aux journalistes de jouer le jeu d’entreprises qui font du greenwashing (pratique mensongère s’appuyant sur des arguments écologiques, NDLR). Par exemple, il serait problématique de relayer les propos de Greta Thunberg sans se demander ce qu’on en fait. L’objectif n’est pas de prétendre apporter une réponse unique, mais donner les moyens au lectorat de mieux comprendre l’urgence climatique.

«Avec un traitement médiatique local du changement climatique, les gens se sentent davantage associés aux solutions.» 

Olivier Aballain, co-responsable du Master II Climat & Médias
@ESJ Lille

Vous prônez donc un journalisme de solution ?
Oui, sans tomber pour autant dans l’injonction. Il ne s’agit pas d’imposer des actions à nos lecteurs mais de leur donner les clés. D’ailleurs, le journalisme de solution peut se révéler prometteur. C’est l’expérience qu’a fait en locale le journal Nice Matin, depuis 2015. Ils ont constaté que le lectorat était bien plus réceptif au journalisme qui expose des solutions, plutôt qu’à l’exposition des problèmes eux-mêmes. Éviter les thèses climato-septiques, c’est donc arrêter de perdre du temps à ne parler que des problèmes en eux-mêmes, mais plutôt évoquer les potentiels solutions. On n’est pas obligés d’évoquer la fin du monde tous les deux ans.

Votre exemple s’appuie sur un journal local. Pensez-vous que les médias de proximité, malgré leur couverture locale, puissent s’avérer utiles pour traiter un sujet mondial comme le changement climatique ?
On peut traiter un sujet planétaire localement. Le point de vue sera juste différent. Avec un traitement médiatique local du changement climatique, les gens se sentent davantage associées aux solutions. Les localiers ont justement cette chance de pouvoir mettre en avant les initiatives locales en faveur du climat. Pour lutter contre le scepticisme autour de l’urgence climatique, cela commence d’abord au niveau local.

Pensez-vous justement qu’une formation comme la vôtre peut aussi aider à constituer un rempart contre les climato-sceptiques, avec des journalistes mieux armés sur le sujet ?
C’est notre raison d’être. Les Assises du journalisme nous ont montré que les médias sont conscients des problématiques climatiques. Un grand pas est fait. Mais maintenant, il faut que les rédactions puissent se doter de journalistes compétents sur le sujet. Il faut que les médias aient les armes pour traiter l’urgence climatique, et nous les donnons à nos étudiants. De manière générale, l’écologie doit être au cœur de tous les sujets, qu’ils soient politiques ou économiques. Avoir l’environnement en tête lorsqu’on parle de sujets de société, ce n’est pas du militantisme, c’est du journalisme.

esj-lille.fr/formation/master-climat-et-medias

Des Assises centrées sur le climat

Les Assises du Journalisme, rendez-vous annuel des professionnels de l’information, avait lieu cette année du 29 septembre au 1er octobre, à Tours. Pour cette dernière édition, le thème était : « urgence climatique et responsabilités journalistiques ». L’événement aura permis d’évoquer de nombreux sujets attenants. Y compris celui, épineux, du traitement médiatique des climato-septiques.

Propos recueillis par Guillaume Cazcarra

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