Une baisse de détenteurs de la carte de presse. Une durée moyenne des carrières de journalistes qui diminue. Et les réseaux sociaux qui sont, depuis quelques années, le support pour échanger sur le « Pourquoi je quitte la profession ? ». Jean-Marie Charon, sociologue, tente de comprendre de quoi il en retourne dans son livre Hier, Journalistes, ils ont quitté la profession.
En 2011, le CSA (conseil supérieur de l’audiovisuel) et les assises internationales du journalisme réalisent un baromètre sur le moral des journalistes. Une question posée lors de cette étude interpelle le sociologue : « On demande au panel interrogé : ‘’Envisagez-vous de quitter la profession ?’’ En presse spécialisée, visant principalement les pigistes donc les plus précaires, 50% répondent oui. C’est affolant. Mon enquête cherche donc à comprendre qui ils sont et pourquoi ils partent », commente le sociologue.
Nombreux sont ceux qui ont accepté de répondre à cette enquête. Jean-Marie Charon les présente et dresse leur portrait dans son livre. Lors de sa venue à SciencesPo Lille, mardi 25 janvier 2021, il raconte : « Le départ de la profession n’est pas un phénomène, il n’y a pas de profil type mais une moyenne de facteurs qui incite à la reconversion. »
Parmi les trois catégories recensées, il y a tout d’abord les plus jeunes pour la moitié du panel, donc les moins de 35 voire de 30 ans. Ce qui ressort ? Notamment une certaine précarité, un manque de reconnaissance de leur travail ou encore ceux venant d’une grande formation universitaire qui se retrouvent cantonnés au desk numérique, autrement dit ceux qui s’occupent de la retranscription d’articles pour le web.
La deuxième catégorie cible les quadragénaires notamment pour des problèmes de sur-engagement : l’arbitrage entre la vie personnelle et la vie professionnelle devient confus et difficile à concilier, particulièrement chez les femmes. Enfin, les plus de cinquante ans évoquent une réorganisation du média « de trop » et motivent leur départ. Ils sont 10% dans ce cas parmi les répondants.
« Passer d’un métier passion à un autre métier passion »
Justine Faidherbe est une ancienne journaliste de presse locale. Elle a trente ans quand elle quitte Nord Éclair, juste après la fusion avec La Voix Du Nord. Les raisons de son départ sont multiples et rassemblent plusieurs réponses que l’on retrouve dans le discours de Jean-Marie Charon : « J’ai arrêté car je crois que je m’ennuyais un peu, je ne me retrouvais plus dans ce que je faisais. J’étais à un moment de ma vie où j’avais envie d’autres choses car je n’arrivais plus à imbriquer ma vie personnelle et ma vie professionnelle. » Sa carrière démarre sur le terrain avant de se poursuivre pour le desk à une époque où le numérique commence à faire sa place dans les médias. « J’aimais bien l’editing mais je tournais en rond dans un rythme de travail où mes journées étaient interminables. »
Des reconversions plus ou moins attendues
Les reconversions sont diverses et variées. La communication, le marketing ou la politique sont régulièrement recensées par Jean-Marie Charon : « La reconversion vers la communication est certainement la moins surprenante. Il s’agit même d’un stéréotype lorsqu’il s’agit de sortie du journalisme »
Un choix justifié parfois pour des raisons pécuniaires. Elles sont parfois tout autre. Justine est devenue, depuis quatre ans maintenant , couturière professionnelle. Ce qu’elle pratiquait comme un loisir lorsqu’elle était journaliste est désormais devenu son métier : « C’est une autre façon de créer. Je suis passée d’un métier passion à un autre métier passion. » Une décision qu’elle ne regrette pas même si la nostalgie du métier de journaliste l’effleure parfois.
Les éléments de cette enquête sont peu encourageants et mettent en exergue de nombreux caractères négatifs du métier qui poussent les professionnels à la reconversion, en passant parfois par le burn-out. Toutefois Jean-Marie Charon garde une note d’espoir : « L’attrait pour ce métier reste toujours aussi considérable. Le nombre d’étudiants qui préparent les concours d’école de journalisme ne faiblit pas. Ce métier continue tout de même de faire rêver. »