« Nos contenus doivent être autant pensés pour les femmes que pour les hommes. Pour y parvenir, il faut que des femmes et des hommes fabriquent l’information », affirme Stéphanie Zorn, rédactrice en cheffe adjointe (et future rédactrice en chef au printemps 2024) du quotidien La Voix du Nord. La commission de la carte de presse compte quasiment le même nombre de femmes et d’hommes détentrices et détenteurs du fameux sésame. Elles sont 16 000 à l’avoir contre 17 000 pour leurs homologues masculins. Mais l’inégalité se creuse drastiquement quand on regarde qui occupe les hautes fonctions des journaux.
En 2017, 38 % des postes de rédacteurs en chef étaient occupés par des femmes, contre 27,7 % en 2000. Les directrices de publication ou de rédaction, elles, n’étaient que 25,9 % en 2017. Une évolution puisque le pourcentage a pris 6 points en près de 20 ans. Mais autant dire que l’on avance à un rythme d’escargot en termes de parité dans les postes d’encadrement des médias.
Pour Stéphanie Freedman, responsable du pôle magazine de L’Alsace, un journal de PQR (groupe Ebra), cette situation est « anormale ». « Il n’y a que deux femmes cheffes d’édition en Alsace ! On est très loin de la parité. Comment l’expliquer ? Certains évoquent encore les congés maternité… Ils ne durent que quatre mois ! C’est pourtant ancré dans les mentalités comme étant un frein à la progression professionnelle », s’offusque la journaliste qui a gravi petit à petit les échelons en vingt ans jusqu’à sa fonction actuelle.
« Certains évoquent encore les congés maternité….»
Stéphanie Freedman, responsable du pôle magazine de l’Alsace
Si, pour le moment, les femmes cheffes ne représentent que 26 % des postes à responsabilités, ce pourcentage devrait augmenter dans les années à venir. « Un des leviers qui va sans doute permettre à des femmes de se sentir plus légitimes pour postuler, c’est le télétravail », espère Stéphanie Freedman. Si elle considère son cas personnel, cela lui a permis d’aller chercher ses enfants à l’école, d’être avec eux pour le goûter puis ensuite de se connecter via son ordinateur portable pour continuer ses missions.
Néanmoins, encore beaucoup de femmes se censurent elles-mêmes. Catherine Wilmart, éditrice en Vendée et en Loire-Atlantique au sein du groupe Publihebdos, regrette ce constat. « Beaucoup de journalistes compétentes ne se font pas assez confiance pour postuler. Elles se remettent parfois trop en question par rapport à leurs collègues masculins. » Une clé, selon Stéphanie Freedman, concerne la prise de parole. « Il ne faut pas hésiter à dire : “Je veux ce poste”. »
Se sentir légitime
Stéphanie Zorn, elle, a osé. Elle a envoyé sa candidature au poste de rédacteur en chef adjoint du journal après quelques hésitations. Et victoire ! C’est la première femme depuis la création du média du Nord-Pas-de-Calais à obtenir un poste aussi haut dans la hiérarchie. Il aura fallu attendre 76 ans. « En postulant en 2020, je savais que le poste était fléché pour une femme. Après ma nomination, j’ai mis longtemps à me sentir légitime, même si j’ai toutes les compétences pour ce travail. J’ai bossé dix fois plus pour être là où j’en suis et montrer ce que je vaux », confie la journaliste chargée de l’interactivité. Aujourd’hui, six hommes occupent un poste de rédacteur en chef comme elle au sein de son média.
Sa prise de fonction a changé des choses. « Désormais, il y a moins de réunions le mercredi pour tout le monde. L’agenda est donc plus chargé le mardi et le jeudi. Le changement s’est fait naturellement, mais la plupart des gens, surtout ceux qui ont des enfants, en étaient contents. » Lisa Lasselin, journaliste vidéo à La Voix du Nord, a tout de suite senti le vent de fraîcheur qu’a apporté Stéphanie Zorn, grâce à ses nouveaux points de vue. « On le sent dans le management. Elle nous écoute vraiment, on se sent considéré. On peut monter des projets facilement. Elle est accessible. C’est aussi super d’avoir un modèle de femme qui réussit sous nos yeux. Ça prouve que c’est possible. » Son cas reste une exception à La Voix du Nord où, doucement mais sûrement, des femmes commencent à obtenir des postes à responsabilités.
Du côté de la rédaction de L’union-L’Ardennais, deux femmes ont succédé à Didier Louis depuis le 1er janvier 2021 : Géraldine Baehr-Pastor en tant que rédactrice en cheffe et Carole Lardot en tant que rédactrice en cheffe chargée de l’innovation. La seconde constate quelques changements depuis sa prise de poste : « Le vocabulaire utilisé lors d’un féminicide n’est plus le même. On a également créé des vidéos de prévention que l’on diffuse à chaque affaire avec notamment les numéros à contacter. » Selon elle, ce rôle de prévention ne rime pourtant pas avec un acte « de militante ».
Des changements en interne depuis #Metoo
L’arrivée des femmes a aussi des répercussions sur le terrain, les interviewés sont de plus en plus en lien avec des femmes. « C’est devenu anodin d’être une journaliste en reportage pour le grand public, témoigne la responsable du pôle magazine de L’Alsace. Quand j’ai commencé, il y a vingt ans, c’était moins le cas. J’ai déjà eu des remarques déplacées de correspondants de presse ou eu affaire à des personnes qui voulaient que ce soit un collègue et non moi qui mène l’interview. Pourquoi ? Car je suis une femme. »
Stéphanie Zorn a également essuyé ces remarques sexistes. « Il y a parfois des bonshommes beaufs à éduquer un peu », souligne-t-elle fermement. Catherine Wilmart regrette : « Sans forcément que ce soit dirigé contre moi, il y a beaucoup de lieux communs sexistes qui restent ancrés dans les mentalités. C’est dur de les combattre. »
Cloé Vanoni & Louise Auger
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