Nous sommes dans une situation inédite : depuis quinze ans, une petite dizaine d’hommes d’affaires, qui ne sont pas issus du domaine de l’info, possèdent les médias”, témoigne François Bonnet, journaliste pour Médiapart, à l’occasion de la réunion organisée par l’association Fonds pour une presse libre.
Ce jeudi 17 février, journalistes, sociologues, avocats, historiennes et membres d’associations s’étaient tous donné rendez-vous à Paris, boulevard du temple pour participer à la réunion “Changer les médias, l’urgence d’agir”.
Parmi eux et en plus du public, qui a massivement répondu présent à l’appel, François Bonnet et Charlotte Clavreul, directrice du Fonds pour une presse libre, étaient chargés d’animer la soirée, retransmise en direct via les réseaux sociaux (replay ci-dessous ou sur YouTube).
Avec pour objectif de construire une alternative à l’information de masse, sans cesse relayée et souvent dangereuse, la soirée s’est découpée en trois temps sous la forme de débats dont un portant quasi exclusivement sur la presse locale.
Questions de territoire
Pendant plus de trente minutes (à partir de 1:35:20 sur la vidéo), Clémence Faustis, rédactrice en chef de revue Far ouest, un média d’info locale en Nouvelle Aquitaine, Faustine Stenberg, journaliste chez Splann! et Marie Barbier, rédactrice en chef de la revue féministe La Déferlante, ont décrit leurs quotidiens et la manière dont elles parvenaient à faire émerger de nouvelles informations. “Nous n’avons pas le même rapport à l’information, relève Faustine Stenberg, tous les membres de Splann! travaillent dans des petits villages et sont employés au sein d’autres médias locaux, on ne voit pas les mêmes choses.” Une vie similaire à celle de ses lecteurs, que Clémence Postis admet avoir du mal à accéder : “La région Nouvelle-Aquitaine, là où nous travaillons pour Far-Ouest est immense et n’a aucun sens, se désole-t-elle, les problématiques sont vraiment différentes dans la Creuse, en Gironde ou en Midi-Pyrénées.”
En plus d’un territoire plus ou moins vaste, la question du financement de la presse locale et indépendante relève certaines problématiques : “Enquêter, ça coûte très cher et les médias locaux n’ont pas forcément fait le choix d’investir sur l’investigation. Et comme étant financés par la publicité, cela crée de l’auto censure”, affirme Faustine Stenberg.
Une hyper réalité du terrain qu’elle confronte tous les jours au sein de son média d’investigation local : “Pour être indépendant, cela veut dire prendre du temps bénévolement. Nous avons aussi recours à un financement participatif de nos lecteurs, pour permettre aux journalistes d’enquêter pendant plusieurs mois, dès fois pour ne rien trouver, c’est un pari risqué.” Ce lien entre lecteurs et journalistes, Clémence Postis le partage et y pense dès la création de son média : “L’actualité est déjà très bien couverte par d’autres médias en Nouvelle-Aquitaine. Nous avons pris le parti d’être un support proposant des longs formats et des documentaires pour remettre les gens au centre des sujets.”
Entre information et opinion
D’autres grands noms de la presse étaient également présents lors de cette soirée pour répondre notamment à la “Zemmourisation des esprits” ainsi que la difficulté à construire un autre agenda informatif : “Il y a l’urgence de construire un débat public, et ça, c’est le rôle de nos médias. Il faut partir des faits pour produire du sens et des outils d’émancipation intellectuelle pour nos lecteurs”, insiste Agnès Rousseau, directrice du média Politis. Pour Luc Bronner, journaliste au quotidien Le Monde, l’information de proximité continue de dépasser la chaîne à polémique : “CNews n’est plus une chaîne d’information mais une chaîne d’opinion. Cnews c’est 2,1% d’audience quotidienne, là où France 3 c’est 9,3%, selon Médiamétrie. France 3 valorise beaucoup le territoire et ses initiatives.”
Une montée du journalisme d’opinion qui reste tout de même inquiétante pour Fabrice Arfi, journaliste chez Médiapart : “Nous sommes en train d’accepter ce qui était inenvisageable il y a cinq ans, il y a dix ans, il y a quinze ans et les pressions s’exercent de plus en plus. Sur les chaînes d’info en continue, la vérité devient une opinion comme une autre.”
Vers une presse plus libre ?
Après plus de deux heures de réflexions, la réunion organisée par l’association Fonds pour une presse libre terminait sur une note d’espoir avec la participation du syndicat Stop Bolloré représenté par l’avocat Benoît Huet et l’historienne Laurence de Cock : “Il existe plusieurs solutions pour garantir une presse plus libre, rappelle Benoit Huet, notamment la régulation de la concentration trop forte d’actionnaire au sein des médias et des accords préalables entre actionnaires majoritaires et journalistes sur ce qui pourra être dit ou non.”
Un avis que partage Anne-Claire Marqué, directrice du syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) :“Certains grands groupes de presse captent une bonne partie des aides à la presse donc nous voulons équilibrer ça. Par exemple, Bernard Arnault perçoit environ 12 millions d’euros d’aides publiques.”
Lucile Berland, membre du collectif Informer n’est pas un délit, ajoute :“Il faut libérer la parole des journalistes pour recréer de la confiance et éduquer les jeunes aux médias car sur internet, la désinformation est souvent présente.”
Encore trois jours pour financer vos projets
Jusqu’au 25 février, le Fonds pour une presse libre permet aux médias indépendants de candidater afin de voir leurs projets être financés.
Organisé sous la forme de subventions d’avances remboursables allant entre 15.000 et 45.000 euros, le Fonds pour la presse libre agit en faveur d’une presse indépendante et pluraliste.
Une bonne manière de pouvoir enquêter longuement, sortir des formats plus onéreux ou “d’atteindre un seuil d’équilibre avant trois ou quatre ans, extrêmement difficile sans aide externe”, rappelle François Bonnet, journaliste pour Médiapart et membre de l’association
Seuls une poignée de médias pourront bénéficier de cette aide exceptionnelle, puisque le Fonds pour la presse libre (FPL) ne possède “que” 100.000 euros d’enveloppe budgétaire que répartissent les neuf membres bénévoles et jurés entre les candidats sélectionnés.
Un budget loin d’être illimité, réparti en deux aides pour financer le plus de projets possibles :
• La première aide, de 15.000 euros sous forme de subventions, est destinée aux projets éditoriaux innovants (enquête longue, reportage, nouvelle rubrique, nouveau format) qui peuvent nécessiter des développements techniques.
• La seconde, sous forme d’avance remboursable à hauteur de 45.000 euros, permettra au média élu de lancer un projet structurant pour sa réduction ou de mener une transformation stratégique.
En acceptant cette avance, le média s’engage à rembourser après deux ans le FPL. Le média se voit aussi octroyer un label de qualité qui pourra lui permettre d’obtenir d’autres financements.