Journaliste à Sud Ouest, Marie Neaud est une tiktokeuse professionnelle. La jeune femme l’assure : le réseau social chinois permet de faire du journalisme et de l’info locale.
Depuis quand Sud Ouest est sur TikTok ?
Sud Ouest est sur TikTok depuis février 2022.
C’est une initiative de votre part ou une demande de la direction ?
J’ai postulé en proposant de lancer leur chaîne TikTok, car ils n’en avaient pas. J’ai envoyé une vidéo pilote qui vulgarise l’affaire Dreyfus. Le but était de leur démontrer que même en abordant un sujet « complexe », il était possible de le rendre accessible en une minute. Ça leur a plu et ils m’ont embauché.
Comment, avec quels moyens humains, SO a-t-il investi la plateforme ?
Je suis seule aux commandes de la chaîne. Nous avons des réunions hebdomadaires où je soumets mes envies de sujets, d’angles, de reportages. Ensuite je réalise tout de A à Z : tournage, interview, montage, script, face caméra. C’est pour moi inédit d’être autant autonome au sein d’une rédaction. C’est beaucoup de boulot mais aussi énormément de libertés qui rendent le projet très stimulant.
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Que choisissez-vous de montrer sur TikTok ?
Je conserve la ligne éditoriale du journal. Du local car c’est notre identité et notre plus-value. Aujourd’hui, je suis encore dans une phase d’expérimentations. Je teste différents formats, sur la forme et sur le fond. J’essaye de traiter de problématiques qui peuvent préoccuper les plus jeunes de notre région. J’aime mettre en lumière les acteurs locaux culturels, réaliser également des formats pédagogiques comme « Savez-vous comment s’est formée la dune du Pilat ? ». Les sujets sociétaux sont également très importants, l’évolution des mœurs touche tout le monde. J’essaye d’intégrer des vidéos fédératrices et ludiques.
Est-ce que vous suivez les « trends » (tendances) ?
Au début, je le souhaitais. Je suivais les trends pour tenter de les adapter à de l’information. Mais il faudrait que l’on soit plus nombreux à travailler pour la chaîne TikTok. Seule, je n’ai pas assez de réactivité, donc pour l’instant c’est en stand-by.
Peut-on faire du local sur TikTok ?
Bien sûr ! Il y a tant à dire. Après je vais être honnête, je suis une fervente défenseuse de la presse papier et magazine. Je n’étais pas prédestinée à faire de la vidéo. J’ai toujours aimé ça mais je ne me voyais pas assez aguerrie pour en faire. TikTok est un format inédit. C’est très court et ce doit être intense, la forme n’a pas besoin de ressembler à un documentaire de BrutX. Et quoiqu’il arrive c’est le fond, l’écriture – la base de notre métier – qui prime.
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Pour revenir sur l’actualité locale, j’ai la chance de me retrouver sur un terrain de jeu presque inexploré. L’information est trop souvent centralisée sur Paris, que ce soit les médias ou l’actualité qu’ils relaient. La presse régionale intéresse tout autant les Français. C’est de leur quotidien dont il s’agit. Évidemment, je relaie de l’information plus générale car il en faut. Régional ne veut pas dire être coupé du national ou de l’international. Mais j’ai remarqué que les vidéos qui marchent le mieux concernent directement le Sud-Ouest.
Peut-on déjà faire un bilan de la présence de SO sur TikTok ?
Il est un peu tôt. La chaîne a moins de cinq mois. Ma rédaction est contente du démarrage. À présent, on essaye de faire des ponts entre chaque plateforme (web, Facebook, Instagram, TikTok). L’idée est de suggérer qu’il existe un journal Sud Ouest pour chacun. Que vous soyez un retraité bayonnais très attaché au format papier ou un jeune étudiant bordelais accro à votre smartphone, l’information locale est accessible à tous.
Quel rôle peuvent/doivent avoir les médias locaux sur TikTok ?
Je pense que peu importe le format ou la plateforme, à partir du moment où il y a une forte audience, les médias doivent l’investir. On doit aller là où le public se trouve. Les préoccupations régionales sont tout aussi importantes. Mettre en lumière l’information locale, le patrimoine, la diversité, la culture liés à un lieu géographique via TikTok est déjà une façon de se réinventer en tant que média.
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C’est un sacré défi, j’opère énormément de veille sur ce réseau pour mieux en comprendre les codes. Évidement que je ne vais pas me mettre à danser sur du rap pour faire de l’info. Mais il y a beaucoup à apprendre sur les applications telles que TikTok. Ensuite, je pense qu’il est important de rappeler que le journalisme est multiple. Partager de l’information sur TikTok est une bonne façon de le transmettre.
L’œil de Julien Kostrèche (Ouest Médialab)
Julien Kostrèche est directeur de Ouest Médialab, cluster des médias spécialiste de l’information et de la communication autour du numérique.
Pour lui, TikTok suscite l’intérêt des médias locaux au même titre qu’Instagram ou Snapchat auparavant. « Pour les plus gros, comme Ouest-France ou Le Parisien, qui ont déjà une stratégie en vidéo ou social media, les chantiers sont en cours. » Pour les autres, il faut s’adapter aux moyens disponibles, « ce qui est parfois compliqué pour mener une vraie stratégie sur la vidéo ou les stories. Mais il me semble que la majorité des éditeurs locaux prennent TikTok au sérieux. »
D’après Julien Kostrèche, il est possible, sur le réseau social chinois, de faire du journalisme. « Pourquoi ne le serait-il pas ? En 2019, j’ai donné une conférence au Web2Day sur les sept familles du journalisme numérique. J’ai nommé l’une d’entre elles journalisme liquide. Le journalisme liquide n’est pas seulement un journalisme soumis au dictat de la mobilité et de la vitesse, au sens où l’entend le sociologue allemand Zygmunt Bauman, qui a théorisé le concept de société liquide, poursuit-il.
C’est aussi un journalisme qui se caractérise par sa fluidité, sa capacité d’adaptation aux nouveaux supports et usages numériques et d’hybridation avec d’autres métiers. On trouve pas mal de choses dans cette famille, du très mauvais et du très bon, avec dans tous les cas un souci permanent de capter l’attention d’un public hyperconnecté dans un univers informationnel de plus en plus concurrentiel. »
Concernant les moyens à consacrer à TikTok pour la presse locale, Julien Kostrèche estime que « cela semble compliqué, à l’exception des plus grands groupes. Dans tous les cas, ces moyens s’intègrent à une stratégie plus globale sur la vidéo pour le web et les médias sociaux. Il y a aussi des médias qui investissent TikTok via des actions d’éducation aux médias, comme le média associatif nantais Vlipp. »
Ervan Couderc
Lire également notre article en page 11 du PHRases #26, à feuilleter ci-dessous, ou à télécharger en suivant ce lien.