Entre les journaux municipaux, comme GreMag ou Cité Échirolles, le magazine de l’agglomération Métropole Mag, celui du Département Isère Mag, ou encore celui de la Région Aura, les habitants de Grenoble ont l’embarras du choix. Rédactrice en chef de Métropole Mag, Valentine Autruffe, marque une distinction nette entre ces titres : « Nous sommes des institutions différentes, avec des compétences différentes et chacun reste sur les siennes. Par exemple, la ville de Grenoble évoque ses écoles, ce que nous ne faisons pas. » Des publications gratuites, optimistes et souvent esthétiques : seraient-elles un miroir des défauts de la presse locale ?
Dans l’Hérault, l’agglomération de Béziers propose chaque mois le Journal du Biterrois (JDB), un magazine financé à moitié par la ville de Béziers. Saturé d’images colorées, souvent créées par intelligences artificielles, le journal reflète la politique de son directeur de publication et maire de Béziers, Robert Ménard. S’il est impossible de le confondre avec Midi Libre, il est difficile de ne pas y jeter un coup d’œil. « Le Journal du Biterrois est tapageur, et avec plus d’image que de texte, il est facile à lire », affirme Mélissa Alcoléa, journaliste du Midi Libre à la rédaction locale de Béziers. « Robert Ménard sature la communication, les gens vivent dans le « tout com’« , résume-t-elle.
Les portes-voies de la politique locale
En plus de ce journal “officiel”, la ville a lancé début septembre un journal mural via les panneaux d’affichage municipaux, intitulé L’Appel. Mais lors du dernier conseil municipal, l’opposition a dénoncé l’absence d’un outil d’expression qui lui serait réservé. Selon France 3 Occitanie, le maire aurait répondu qu’elle pouvait utiliser les panneaux d’affichage. Si bien que le conseiller municipal Thierry Antoine a lancé un autre journal mural : La pelle, affirmant que « pour connaître la vérité, il faut creuser », comme il l’a confié à Midi Libre. Deux journaux de communication pour deux visions politiques et une même bataille de communication.
La loi prévoit justement un espace d’expression pour les élus n’appartenant pas à la majorité dans ces publications locales officielles. Cependant, en l’absence d’un journal municipal, les élus de Béziers n’ont plus d’espace d’expression depuis quelques années – le JDB étant réservé aux élus de l’agglomération. C’est là que réside la fonction légitime de ce que Franck Jacquet définit comme des « organes de promotion de l’action des élus ». L’enseignant-chercheur en sciences sociales au Centre d’Histoire de Sciences Po voit pourtant en ceux-ci un risque de confusion avec le journalisme, ce qui accentuerait la méfiance vis-à-vis des journalistes. « Le lecteur peut se dire qu’on lui envoie déjà un bulletin gratuit. Si le propos est le même partout, il se contentera des notifications gratuites de son titre de référence », argumente-t-il.
Au même niveau que le bouche-à-oreille
En Haute-Savoie, la mairie d’Annecy a revu complètement la méthode de diffusion de son magazine, Annecy Mag, au printemps 2024. Avant cette date, 75 000 exemplaires étaient tirés puis distribués dans les boîtes aux lettres, comme c’est le cas dans la plupart des métropoles. Aujourd’hui, ce sont seulement 25 000 tirages qui sont accessibles dans les 400 points de dépôts des communes déléguées. Une solution face à la nécessité de réduire ses coûts et son empreinte carbone, justifie la ville. Avec 220 000 exemplaires par publication, la rédaction de Valentine Autruffe à la Métropole de Grenoble se questionne sur ces enjeux : « On n’a pas trouvé de solution idéale, même dans les retours d’expériences, à Annecy ou dans d’autres collectivités, en dématérialisé ou sur abonnement. Mais parmi nos médias de communication, le magazine reste le point d’entrée numéro un. »
En atteste le baromètre Epiceum & Harris Interactive de la communication locale, publié en septembre 2024 : « Le journal papier des collectivités constitue l’un des premiers moyens utilisés par les Français pour s’informer sur la vie locale. » Des résultats comparables à la pratique du bouche-à-oreille dans le questionnaire. Précisément, 57 % des répondants affirment utiliser la PHR pour s’informer sur la vie locale, 55 % écoutent la radio locale ou régionale, et 75 % privilégient les lettres d’information, bulletins ou magazines de collectivités.
La communication, plus confortable que le journalisme
Autre élément contribuant à la confusion entre communication et journalisme : la porosité des frontières professionnelles entre les deux domaines. « Des personnes passent de l’un à l’autre », souligne-t-il, évoquant un exemple où un membre de l’administration intègre un média local en raison des accointances avec le chef de rédaction. Ces allers-retours, ni nouveaux ni rares dans les médias audiovisuels, concernent aussi la presse locale. De George Clémenceau à Bruno Roger-Petit, les exemples ne manquent pas. « Faudrait-il créer des barrières pour éviter cette confusion et protéger de la valeur du propos journalistique ? », interroge l’enseignant-chercheur.
Pigiste en Isère, Martin Léger connaît bien ces ponts. Il collabore notamment avec des magazines institutionnels, comme Meylan, ma ville, titre d’une commune de la métropole de Grenoble, et Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné, hebdomadaire économique de l’Isère. Des projets innovants, des portraits valorisants… De l’un à l’autre, les sujets et les approches sont parfois semblables. « Après la rédaction, il y aura une réécriture pour avoir un message positif, distingue-t-il, concernant les articles de communication. L’agence de tourisme du Département m’a reproché d’émettre des critiques sur une activité. J’ai répondu qu’il valait mieux évoquer le négatif, pour mettre en valeur le positif », se souvient-il.
Malgré tout, il cherche à rester fidèle à la démarche journalistique, pour fournir une information factuelle : « Dans ma tête, je suis davantage un journaliste qu’un communicant. » Après 17 ans de carrière au Dauphiné Libéré notamment, Valentine Autruffe (Métropole Mag, à Grenoble), s’accorde avec lui à ce sujet : « Entre le journalisme d’un média politiquement indépendant, et ce que je pratique actuellement, je fais bien la différence et je n’aime pas que les pistes soient brouillées. » Martin Léger ne nie pas cependant la nécessité économique qui l’amène à écrire pour des médias institutionnels. « Je ne peux pas me permettre de cracher sur ces contrats, reconnaît le pigiste. Mais je les accepte parce que les sujets ne sont pas spécialement polémiques ou politiques. Si c’était le cas, la question se poserait davantage. » La rédactrice en chef de Métropole Mag, quant à elle, a complètement arrêté le journalisme : « Je ne trouvais plus d’emploi qui soit stable, qui m’accorde une vie personnelle à l’endroit où j’avais envie de vivre, et je ne trouvais plus de sens à ce que je faisais… La question était : « A quel moment on fait passer une chose avant l’autre ? » », résume-t-elle.
Distinguer le journalisme
La confusion possible entre journaux de communication et d’information, Franck Jacquet l’attribue au déclin du niveau de formation. Il observe une diminution de la plus-value des journaux de PHR et PQR qui consiste à « garder un recul critique ». « Le dispositif actuel donne aux journalistes moins de moyens pour remettre en cause les informations communiquées, même s’ils le souhaitent. Or, cela est fondamental pour recontextualiser et nuancer les faits », estime-t-il.
Une vision que partage la journaliste Mélissa Alcoléa : « Nous avons un vrai rôle à jouer : montrer qu’il y a une pluralité de points de vue, prendre du recul sur les propos politiques, relever les incohérences possibles… Cela demande des moyens, mais nous devons nous y attacher », insiste-t-elle.
Pour le chercheur en sciences sociales, l’éducation aux médias sera la clé : « C’est quelque chose qui a toujours été fondamental, encore plus aujourd’hui face à la rapidité et à la multiplicité des supports auxquels nous sommes confrontés. C’est ainsi que nous ferons comprendre la plus-value de l’enquête journalistique, bien plus qu’en multipliant les lois », conclut-il.