Les départs se multiplient. The Guardian est le premier grand nom à avoir passé le pas (voir encadré en bas de l’article). Le 13 novembre, le média britannique annonce son départ de la plateforme X (ex-Twitter). À peine cinq jours plus tard, mardi 19 novembre, Ouest-France suspend aussi son activité sur le réseau. Sud-Ouest emboîte le pas le surlendemain. Derrière la démarche, les médias français dénoncent les mêmes écarts du réseau d’Elon Musk. D’abord, un manque de modération et de régulation.
« Le droit tient les médias de ne pas propager la haine sous menace de condamnation, c’est normal », revendique Caroline Tortellier, responsable communication du groupe Ouest-France. « Or, sur X, tout le monde peut dire n’importe quoi. Les fake-news pullulent, le harcèlement et la haine raciale ont le champ libre. Rien n’est fait. » Elle insiste : « La liberté d’expression doit être encadrée. On ne peut pas animer la vie démocratique en étant injurié à longueur de journée ».
Dans l’article annonçant sa décision, Sud-Ouest dénonce également « la mise en œuvre de plusieurs mesures aux conséquences délétères. » En guise d’exemple, le groupe relève la limitation des publications des comptes médias, la modification des conditions de blocage et la disparition des pastilles de certification au profit de la mise en avant de comptes payants. Un avis partagé chez Ouest-France. « Les pastilles n’apportent aucune garantie, c’est une illusion d’officialité. Pire, maintenant il faut payer pour être écouté. Seuls les plus riches peuvent parler. Le débat est déséquilibré », déplore la responsable communication du groupe.
« Ces évolutions vont à l’encontre des valeurs fondamentales que nous défendons et rendent notre engagement sur cette plateforme de plus en plus problématique », regrette Sud-Ouest. Terre-à-terre, la représentante de Ouest-France résume : « Nous ne nous sentions plus droits dans nos bottes à défendre nos valeurs dans des articles qui alimentaient une machine à broyer. Il faut être cohérent. »
Une longue réflexion
« X n’est pas épinglé que par les médias, il existe de nombreux mouvements d’opposition. Même l’Europe a levé le drapeau rouge mais rien ne change », rappelle Caroline Tortellier. Elle témoigne de plusieurs accidents sur la plateforme. « Certains de nos journalistes ont été chahutés sur le réseau. Un journaliste a été menacé. On ne peut pas laisser passer ça. »
Les premières actions d’opposition à la plateforme menées par Ouest-France remontent à 2023. Le groupe avait répondu à un appel au boycott de X avant de ralentir drastiquement leur activité sur le réseau. « Nous sommes passés de 200 tweets par jour à une vingtaine de retweets. »
L’actualité pousse le groupe à raviver les discussions. « Je ne cache pas que le départ du Guardian et l’actualité aux USA a relancé les réflexions. Nous en avons discuté tous ensemble avec la direction de rédaction. On a tout remis sur le tapis. » Dans les points abordés lors de ces discussions, une question s’est rapidement posée : « Combat-on mieux de l’intérieur ? » La responsable de Ouest-France maintient que l’expérience a prouvé que c’est peine perdue. « Nous ne pensons plus pouvoir faire quoi que ce soit de cette façon. Avant d’en arriver à notre départ, nous avons tenté de lutter contre la désinformation, la propagation de haine… Ça ne fonctionne pas. Depuis notre grève, c’est de pire en pire.
« De formidables agoras »
Le départ de X n’est pas un procès à l’encontre des réseaux sociaux dans leur ensemble. Au contraire, les médias français soulignent l’importance de ces espaces numériques. « De formidables agoras », selon Sud-Ouest. Un avis partagé par Caroline Tortellier : « Certains ont l’impression que ce sont toujours les mêmes qui parlent dans les médias classiques. Une élite de la société. Les réseaux ont libéré la parole. Des mouvements comme #MeToo n’auraient jamais vu le jour sans eux. » Les deux groupes ont confirmé qu’il n’était pas question d’abandonner les autres plateformes. « Nous continuons d’alimenter nos comptes Facebook, YouTube et Instagram. Nous avons même une plus grande portée sur ces réseaux que sur X », détaille Caroline Tortellier.
Aucun des deux groupes ne s’interdit d’intégrer des publications X dans leurs articles. « À partir du moment où la primeur de l’information provient de la plateforme X, que l’information est originale et uniquement disponible sur cette plateforme, et qu’elle répond aux exigences du groupe en termes de fiabilité », précise l’annonce de Sud-Ouest. Des conditions communes à Ouest-France. « Nous n’alimentons plus nos comptes mais continuerons de surveiller le réseau. Les tweets sont parfois plus rapides que les dépêches pour véhiculer des infos. Il s’agit évidemment de s’assurer de la véracité. »
Le soutien des lecteurs
Depuis l’annonce de leur départ, Caroline Tortellier a le plaisir de constater un grand soutien de la part du lectorat de Ouest-France. « Nous recevons des tonnes de mails et courriers. Nos lecteurs félicitent notre décision. Beaucoup ont même expliqué que ça les pousse à réfléchir à leur propre consommation de réseaux sociaux. » Les encouragements ne se limitent pas aux lecteurs : « Les rédactions d’autres médias nous ont contactés. Ils nous ont confiés qu’eux aussi se posent la question du départ. Notre décision relance les débats. » La responsable communication se réjouit de ces retours inattendus. « C’est super si nous aidons à l’éveil des consciences ! »
Maxime Schilt
D’autres quotidiene ont initié le mouvement…
Si les premiers journaux français à décider d’arrêter de publier sur X sont Ouest France et Sud Ouest, ils ont été devancés par The Guardian (Grande-Bretagne), Dagens Nyheter (Suède) et La Vanguardia (Espagne), respectivement les 13 et 14 novembre..
Malgré ses 27 millions de followers (répartis sur 80 comptes), le quotidien britannique a estimé que « les contenus diffusés sur la plateforme, qui le préoccupaient depuis longtemps, incluaient des théories de conspiration d’extrême droite et du racisme ». Le titre a « ajouté que la couverture par le site de l’élection présidentielle américaine avait cristallisé sa décision. »
Elon Musk n’a pas tardé à répondre, signalant que The Guardian, « hors sujet », était une « machine de propagande laborieusement vile ».
A Barcelone, La Vanguardia souligne que « le réseau social est devenu une caisse de résonance pour les théories conspirationnistes et la désinformation« . Et de regretter l’absence d’une modération des contenus « efficace et raisonnable« .