Parler pour ne pas sombrer : le long chemin de celles et ceux qui ont survécu aux violences sexuelles

Gabrielle* et Thomas ont tous deux été victimes d’agressions sexuelles. Ils ont franchi la porte de l’association En Parler pour rompre le silence et amorcer leur reconstruction. En ce printemps 2025, pour le magazine PHRases, ils témoignent.

Parler pour ne pas sombrer : le long chemin de celles et ceux qui ont survécu aux violences sexuelles

Gabrielle* et Thomas ont tous deux été victimes d’agressions sexuelles. Ils ont franchi la porte de l’association En Parler pour rompre le silence et amorcer leur reconstruction. En ce printemps 2025, pour le magazine PHRases, ils témoignent.

Qu’est-ce qui vous a décidé à en parler ?

Gabrielle : J’ai le souvenir d’un viol à l’adolescence, par une connaissance. J’avais 15 ans. Et en 2017, je crois, je me dis qu’il faut enfin que je m’en occupe. J’avais essayé de construire ma vie, comme si ce n’était pas très grave. Et puis, j’ai atteint un âge, une stabilité matérielle et personnelle qui m’a permis d’ouvrir ce sujet-là. J’ai décidé d’aborder les sujets frontalement. Je pensais régler ça en deux ou trois séances… j’y suis encore. C’était du déni. C’était une période dense : #MeToo arrive quelques semaines après. Il y a eu une vraie bascule. Moi, je commençais à m’en occuper, à m’entourer. Et rapidement, je décide de porter plainte. Ça ne se passe pas trop mal, mais ça reste lent. Finalement, j’apprends que c’est prescrit. En 2019, d’autres souvenirs remontent : une agression incestueuse, quand j’étais très jeune. Je fais une sortie d’amnésie traumatique. C’est très violent, difficile à expliquer. J’ai eu de la chance d’être entourée : l’association, ma psychologue, avec des liens humains solides. #MeToo a été déclencheur. Le fait que d’autres personnes osent parler, lever le tabou. Ça permet d’aller vers la reconstruction. 

Thomas : Ce n’est pas vraiment un choix, en réalité. Pour moi, comme pour beaucoup d’autres personnes victimes, c’est quelque chose qui s’impose, presque de l’extérieur. Dans mon cas, j’ai été victime de violences sexuelles dans l’enfance. Et j’ai ressenti le besoin de parler pour mes enfants. Un jour, je me suis rendu compte que mon fils allait avoir trois ans, entrer à l’école, et donc être exposé au « grand monde ». Et je me suis dit : si je ne parle pas, il pourrait, lui aussi, être concerné. J’ai ressenti ce long dévoilement comme une avalanche. Le sol se dérobe, on est emporté, c’est plus fort que nous. Et on ne choisit pas. 

Pourquoi avoir choisi l’association En Parler ?

Gabrielle : C’était vital. À l’époque, à Bordeaux, il n’y avait rien. J’ai tapé à toutes les portes. J’avais besoin de rencontrer des gens à qui c’était aussi arrivé. De ne pas me sentir seule, de pouvoir échanger avec d’autres humains. Le seul remède, c’est la thérapie, bien sûr, mais aussi le regard d’autres personnes bienveillantes. On a peur d’être à nouveau agressé. On se dit qu’on attire ça. Et quand on voit que d’autres ont les mêmes symptômes, ça met les soucis à distance. On se rend compte qu’on n’est pas fou. Toutes les victimes ne sont pas prêtes à écouter, mais pouvoir se parler entre victimes, c’est important. 

Thomas : Quand on comprend qu’on est une personne victime, qu’on a été atteint dans la totalité de ce qui nous constitue, il faut trouver une manière de survivre. C’est un peu comme dans cette image de l’avalanche : on cherche désespérément une balise, quelque chose sous la neige qui nous permet de respirer. L’un des moyens de sortir de cette solitude, c’est de partager ce qu’on a vécu. Le silence nous enferme. Il y a la honte, bien sûr, mais aussi la peur d’être rejeté. Ma prise de conscience remonte à sept ans. Elle est née au moment du début du mouvement #MeToo, quand les témoignages se sont multipliés. Ça m’a bouleversé, amené à m’interroger profondément. En parallèle, mon fils entrait à l’école. J’ai mis du temps à contacter l’association En Parler. Au début, tout était formulé au féminin. Je ne pensais pas qu’en tant qu’homme, j’avais une place. C’est finalement pendant le confinement que j’ai appelé. Je m’interrogeais aussi sur un éventuel dépôt de plainte : j’allais avoir 38 ans, et la prescription approchait. J’ai découvert alors que la non-mixité n’était pas une condition, et j’ai pu rejoindre un groupe de parole. 

Et maintenant ?

Gabrielle : Je me suis soignée. J’ai pu aller au bout du protocole de soin. C’est très long. Ma psychologue considère que je suis en fin de thérapie depuis février 2025. Ça a duré huit ans. Je suppliais mon médecin pour avoir des médicaments, mais avec le risque d’accoutumance, il refusait. Les agressions sexuelles, c’est comme une mort. On reste en vie, mais on est chosifié. Je pense que le cerveau le vit comme une forme d’assassinat. Il n’y a pas de rémission. C’est un chemin. J’étais dans un tunnel. Je demandais souvent à ma psychologue : “Est-ce qu’il y a une lumière au bout ?” Elle me disait que oui. Je ne savais pas si j’y croyais. Aujourd’hui, ça va mieux. Pas parfaitement, mais bien mieux qu’avant. Et je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde. Beaucoup n’y arrivent pas. J’ai fait des tentatives de suicide, j’ai connu des états chaotiques. Mais pour certaines personnes, ça peut aller mieux. Il y a des soins qui fonctionnent. J’ai eu la chance de trouver les bonnes personnes. Mais j’aurais aussi pu renoncer. 

Thomas : Ça a marqué le début d’un immense chantier. Un chantier toujours ouvert, sans doute jamais terminé. Mais ça a été l’acte de faire face, de sortir du déni et du silence. De mesurer les conséquences pendant 35 ans sur ma vie. Cela a ouvert un travail personnel de soins, mais aussi un engagement politique. S’intéresser aux mécanismes, aux structures qui régissent ces violences. Faire le lien entre les récits personnels, les témoignages, les recherches. Comprendre, nommer, partager. C’est ça, selon moi, le sens de ce chemin escarpé que j’ai et que nous avons commencé à emprunter. 

* Le prénom a été modifié. 

Valentin JACQUES

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