Article initialement publié dans le PHRases 2025.
Dans les rédactions locales, la question d’un éventuel positionnement éditorial pour les municipales de 2026 se pose avec prudence. Si l’indépendance et une certaine neutralité demeurent des piliers fondamentaux de la profession, la montée du Rassemblement national (RN) pousse les journalistes à une réflexion éthique sur le rôle de la presse de proximité. La problématique du traitement d’un parti (situé en dehors de l’arc républicain) ayant obtenu le suffrage de près de 42 % des électeurs à l’élection présidentielle de 2022 se pose également pour les rédactions, dans l’optique de ne pas se couper d’une partie des lecteurs.
Au Courrier cauchois, hebdomadaire normand, le positionnement a bien évolué depuis la naissance du média. « Le journal s’engageait au début, à sa création notamment, ou même encore il y a 20 ans. Depuis, ce n’est plus le cas », explique Cédric Thomire, rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire du groupe La Manche Libre. Le titre normand se veut désormais plus factuel. En effet, le fondateur du journal, André Bettencourt, a publié des éditos jusqu’à sa mort, lors d’échéances électorales d’importance notamment présidentielles. L’homme d’affaires avait également participé au financement des campagnes de Valéry Giscard d’Estaing. « Aujourd’hui, il n’y a plus de traitement de faveur particulier », insiste Cédric Thomire, réaffirmant traiter les différents candidats de la même manière, en conservant une ligne rédactionnelle détachée des affrontements partisans. Une même retenue s’exprime à La Semaine de Metz, hebdomadaire lorrain. « On n’est pas censé prendre parti quand on est journaliste », rappelle Aurélia Salinas, rédactrice en chef. Pour l’heure, aucune directive interne ne fixe de conduite spécifique en vue du scrutin de 2026. Toutefois, un cas particulier reste en suspens : la couverture des candidatures du Rassemblement national. « C’est difficile de répondre aujourd’hui sur la stratégie qu’on adoptera pour les candidats RN aux municipales de l’an prochain », admet-elle. Mais le positionnement du journal risque d’évoluer prochainement.

Réitérer les éditos de 2015 ?
La problématique n’est pas nouvelle pour les journalistes de l’hebdomadaire du Grand-Est. Lors des élections régionales de 2015, la rédaction avait pris position à travers des éditoriaux face à la menace de l’extrême-droite. Une expérience que la rédactrice en cheffe n’exclut pas de renouveler. « Si des grandes villes, comme Metz par exemple, ont un risque de tomber dans les mains du RN, il y a une réelle possibilité de faire des éditos », confie-t-elle à un an du vote. L’initiative avait été bien accueillie à l’époque par la majorité des lecteurs, « sauf pour les électeurs du RN », mais sans créer de rupture avec le public. « Il n’y a pas eu de sentiment de trahison », ajoute Aurélia Salinas.


Autre exemple d’engagement : La Voix du Nord dans les Hauts-de-France. Dans le cadre des élections régionales, le quotidien nordiste prend position contre le Front national (ancien nom du RN). À la une du 11 novembre 2015, le journal titre : « Pourquoi une victoire du FN nous inquiète ». La Voix du Nord expose ses arguments : « Parce que nous ne portons pas les mêmes valeurs » que le FN, « parce qu’il n’a pas l’expérience », « parce que la région est naturellement ouverte » et pas repliée sur elle-même, et « parce qu’il menace la solidarité nordiste ». Par ailleurs, le quotidien nordiste entretient des rapports pour le moins complexes avec certaines municipalités dirigées par le RN. À Hénin-Beaumont, par exemple, la ville “oublie” systématiquement de convier les journalistes de La Voix aux conférences de presse. Et ne communique avec la rédaction que par la voie très légaliste des droits de réponse…
2015 :
La Semaine de Metz s’engage contre le FN face à la menace de victoire de Florian Philippot (FN), le journal lorrain incite ses électeurs à faire barrage à l’extrême-droite.Au second tour, le fFN échoue à remporter la région grand-est.
Plus récemment, en début d’année 2025, c’est le groupe EBRA qui s’est distingué. Au contraire des autres titres de presse, le groupe n’a pas pris position contre un parti en particulier. C’est le directeur de l’époque, Philippe Carli, qui avait provoqué un tollé en likant des publications LinkedIn de personnalités d’extrême-droite, comme Sarah Knafo ou Marion Maréchal. S’excusant rapidement, il avait argué que c’était une autre personne derrière son compte qui avait liké les posts. Insuffisant pour le syndicat principal d’EBRA, la CGT, qui réclame sa démission. Il s’exécute le 28 janvier.
Au travers de ces exemples, on comprend que la ligne éditoriale des médias locaux, garante de l’indépendance de la rédaction, peut évoluer selon le contexte politique, en particulier si le Rassemblement national est en passe de remporter les élections. Pour ces journaux, il s’agit principalement de concilier objectivité et défense de l’identité du territoire. Un engagement assumé, mais sans précipitation.
Justin Bastard-Rosset
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