Article initialement publié le 12 juin 2025 dans PHRases direct.
Pierre Archet, président du Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (SPHR), Jean-Pierre de Kerraoul, président du groupe Sogemedia et ancien président du syndicat, et Pierre Petillault, directeur général de l’Alliance de la presse d’information générale, confrontent leurs visions sur l’impact de l’intelligence artificielle dans la presse locale.
À terme, craignez-vous que certains titres utilisent l’IA pour pallier un manque de moyens ?
Pierre Archet : C’est un risque réel, mais ce serait une erreur stratégique. Ce qu’il faut, c’est réallouer les ressources humaines vers des missions à forte valeur ajoutée : du reportage, de l’enquête, du journalisme incarné.
Jean-Pierre de Kerraoul : Je ne le crains pas, je l’espère. À condition bien sûr que cela permette d’améliorer la qualité de la production éditoriale.
Pierre Petillault : Je ne sais pas si elle sera utilisée pour pallier un manque de moyens. Ce qui est sûr, c’est que c’est un outil, et la presse locale doit s’en emparer. Le recueil d’informations, leur vérification, leur hiérarchisation : ça, l’IA ne sait pas faire.
Trouvez-vous important de notifier quand un article est rédigé par IA ?
P.A : Oui, il faut le signaler. En revanche, si l’IA est simplement utilisée pour résumer un communiqué de presse ou raccourcir un texte, ce n’est pas nécessaire. Il faut faire la distinction.
J-P.K : La transparence est gage de confiance et nous ne pouvons naturellement qu’appliquer au début de la chaîne de valeur ce que nous réclamons des autres acteurs en aval. Les lecteurs comprendront très bien qu’on y ait recourt, s’ils constatent qu’elle contribue à la qualité et l’utilité de l’information.
P.P : Je fais une différence entre “aidé par l’IA” et “écrit par l’IA”. Si le journaliste utilise un prompt, réécrit, relit, ajoute des infos et corrige les erreurs, on reste dans une démarche journalistique. Ce serait trop lourd de tout signaler. En revanche, chaque titre doit avoir une politique claire, expliquée à ses lecteurs.
Le Syndicat de la presse hebdomadaire régionale et/ou l’Alliance de la presse d’information générale doivent-ils se prononcer sur la question ?
P.A : C’est indispensable. La profession doit s’emparer de ces enjeux. C’est d’ailleurs ce que fait le SPHR. Cette année, le congrès consacre un fil rouge à l’intelligence artificielle, avec un format inédit et une table ronde. Il y a un double objectif : en faire une opportunité plutôt qu’un danger, et garantir qu’elle soit utilisée dans un cadre éthique, déontologique et régulé.
J-P.K : Les éditeurs de l’Alliance ont déjà pris des engagements sur les usages professionnels et des recommandations sur les bonnes pratiques en matière d’IA seront les bienvenues.
P.P : L’Alliance n’a pas été mandatée pour ça. Aujourd’hui, il est trop tôt pour édicter des règles communes. Certains éditeurs commencent à en fixer en interne. Laissons-les expérimenter.
Que pensez-vous de la génération d’images par IA en presse locale ?
P.A : Moi, j’y suis opposé. Je trouve que c’est tromper le lecteur. S’il y a bien un endroit où l’on doit proscrire ce type d’illustration, c’est dans nos journaux locaux.
J-P.K : Je n’y suis pas très favorable, pour l’illustration en presse locale. Cette “facilité” ne doit pas dispenser la rédaction de trouver une illustration réelle, sur le terrain ou autrement.
P.P : On ne peut pas exclure que certains titres y aient recours pour des raisons de coûts. Le numérique a déjà beaucoup fragilisé la photographie de presse. Mais en presse locale, le lecteur veut voir son village, les gens, ce qui s’est réellement passé. Une image IA ne pourra pas remplacer cela. À mon sens, la question se pose davantage en presse nationale ou magazine.