Quel est le point commun entre recycler ses vieilles chaussettes dans la Sarthe, troquer le surplus de son potager à Rennes et installer des data centers pour chauffer des logements sociaux en Gironde ? Réponse : ces trois initiatives ont été présentées dans Carnets de campagne, l’émission quotidienne de France Inter mettant en valeur entreprises, associations et initiatives personnelles positives, écologiques, durables et solidaires.
Présenté par Dorothée Barba, ce programme se déplace avec le Jeu des 1000 euros à travers la France et dresse un « inventaire non exhaustif des bonnes idées dans chaque département ». Non exhaustif, car en 15 minutes, seulement deux initiatives peuvent être présentées. Il est diffusé du lundi au vendredi à 12 h 30, l’heure où les Français dégainent leur jambon-beurre. Dorothée, elle, est en studio. Elle avale un verre d’eau, fait un signe à la régie, et c’est parti pour le direct.
On vous dit “médias”, “terroir” et “mi-journée”, vous pensez JT de 13 h de Jean-Pierre Pernaut. Dorothée Barba est souvent confrontée à cette comparaison. « Ce n’est pas la même promesse éditoriale, défend-elle. Moi, mon sujet n’est ni le tourisme ni le folklore. Il se trouve qu’au détour d’une conversation avec quelqu’un, souvent, on se retrouve à parler du patois local ou de ce que l’on mange. Mais ce n’est pas ça mon sujet, c’est “Qu’est-ce que tu fais de bien ? Qu’est-ce que tu fais qui change quelque chose ?” C’est souvent l’occasion de parler de la géographie locale ou du terroir, mais ce n’est pas le propos. Donc, c’est autre chose que ce que fait TF1, qui est plutôt “nos régions ont du talent parce qu’elles sont belles et parce qu’elles ont des traditions”. »
Le journal des solutions
« La plupart des radios nationales ont un pic d’audience le matin et un autre en fin de journée quand les gens rentrent du travail. Nous, on a aussi un pic d’audience à la mi-journée avec le 13/14, révèle fièrement Dorothée Barba. Le fait que Carnets de Campagne soit à l’antenne à 12 h 30 n’est pas anodin, c’est une émission très importante pour France Inter, installée sur la grille depuis 17 ans. » Plus de 1 400 000 auditeurs sont au rendez-vous chaque jour, juste avant le Jeu des 1 000 euros (sur les ondes depuis… 1958 !). « C’est un quart d’heure de “racontez-moi ce que vous faites de bien chez vous” », résume la journaliste dans un sourire.
Les initiatives ne manquent pas, il faut juste les trouver. La presse locale joue un rôle crucial pour dénicher des entreprises et associations engagées. La boîte mail des Carnets de campagne est également précieuse : un tiers des sujets à l’antenne viennent d’un mail d’auditeur ou d’auditrice, parfois de gens qui n’ont rien à voir avec le sujet. « C’est ce que Philippe [Philippe Bertrand, créateur et animateur de l’émission entre 2006 et 2022, NDLR] appelait le caftage ou la dénonciation positive. C’est vrai que ça arrive souvent, s’amuse Dorothée Barba. Le reste vient de personnes qui veulent me parler de ce qu’elles font. Plus le bouche à oreille. »
Si le défi de reprendre l’illustre émission de Philippe Bertrand pouvait sembler intimidant, Dorothée Barba l’a relevé haut la main. Accompagnée de son attachée de production Karen Déhais, elle a repris le flambeau à la rentrée 2022. Formée à l’Institut d’études politiques de Lyon, Dorothée a appris le métier à l’École supérieure de Journalisme de Lille. « En touchant du doigt la radio à l’école, ça m’a beaucoup plu, se souvient-elle. J’étais une grande auditrice de France Inter, donc mon rêve le plus fou était d’y travailler, ajoute-t-elle en riant. Ensuite, j’ai fait des CDD dans toutes les radios locales de France Bleu, pendant quatre ans. Toute la France, dans tous les sens. » Après un passage par les micros de France Info et France Culture, elle a hérité, au départ à la retraite de Philippe Bertrand, des Carnets de Campagne, sa première quotidienne au slogan prometteur : le journal des solutions.
Des gens comme eux, des gens comme nous
Les interviews de l’émission sont enregistrées à l’avance, entièrement par téléphone, depuis Paris, pour être insérées dans le direct. « On va sans doute organiser des opérations spéciales qui justifieront que je me déplace sur le terrain, mais pour l’instant ce n’est pas prévu, regrette la productrice. Le directeur des programmes, Yann Chouquet, trouve que c’est chouette de faire du téléphone parce que “Le téléphone sonne” et la matinale [deux émissions emblématiques de France Inter, NDLR], c’est le moment où les auditeurs appellent. Là, c’est moi qui les joins, mais ça donne l’impression à l’auditeur que cette personne qui porte une initiative super, ça pourrait être lui. Ce ne sont pas des gens qui paraissent inaccessibles, ce sont des gens comme eux, comme nous, comme vous. »
Dorothée a beau ne pas se déplacer en région, l’émission n’en est pas moins vivante. À l’aise derrière son micro, dans l’ambiance feutrée des murs rouges du studio, elle sait mettre ses interlocuteurs en confiance, comme s’ils étaient face à elle. « Ce sont des gens qui n’ont pas l’habitude du micro. Mon boulot, c’est aussi de les rassurer en amont, de leur dire : “On bégaye dans la vie, on bafouille dans la vie, on se reprend. C’est comme la vie en fait, c’est de la radio.” Je ris souvent. Je n’avais jamais autant ri à l’antenne que depuis que je fais les Carnets de campagne, confie-t-elle, ce qui prouve que les interlocuteurs sont hyper naturels, déconcertants parfois. Cette spontanéité est l’apanage des gens qui n’ont pas l’habitude des médias. »
La campagne, nom féminin
Bernard, un auditeur mécontent, a écrit à la rédaction il y a quelques mois pour se plaindre. La raison ? Il « ne veut pas entendre parler de menstrues à la radio ». Son mail, imprimé, trône désormais au mur. Récemment, une fabricante de maillots de bains menstruels ou encore une entreprise qui installe des distributeurs de protections hygiéniques ont été mises à l’honneur dans l’émission. « On pense régulièrement à Bernard, déclare très sérieusement Dorothée. Et je pense que Bernard a fait du chemin en nous écoutant. Je comprends qu’intuitivement il trouve ça dégoûtant, parce qu’on vit dans un monde où on ne parle pas de ce qui concerne la moitié de l’humanité. Le tabou crée du malaise, du mal être. Alors oui, je crois qu’objectivement la programmation est féministe. Ce n’est pas un journal d’information, c’est une émission de programmes. » Elle assume d’ailleurs pleinement ses coups de cœur à l’antenne. Le dernier en date ? Les “Robin.e.s des bennes”, une association solidaire basée à Amiens. « J’ai un prisme pour les noms bien trouvés », reconnaît la journaliste.
Au départ un petit groupe Facebook de récupération de surplus alimentaire, l’association s’est développée et organise régulièrement des dons de vêtements, de nourriture voire de plantes. « C’est très local, et en même temps, ça raconte une initiative nationale. C’est magnifique d’accueillir cette parole-là, qu’elle ait toute sa place sur une antenne comme France Inter tous les jours à un horaire où il y a 1 400 000 auditeurs. J’en suis très fière. C’est beau en plus de remplacer un homme qui part à la retraite par une femme. » Elle ne sait pas si elle présentera les Carnets de campagne aussi longtemps que son prédécesseur, mais une chose est sûre : Dorothée Barba a à cœur de continuer à porter les initiatives positives, locales et engagées de nos campagnes.