Le dessin de presse est-il voué à disparaitre des pages de la presse hebdomadaire régionale ? Alors que le nombre de dessinateurs en presse de proximité ne fait que diminuer, voici le portrait de trois caricaturistes qui apportent chaque semaine un autre regard sur l’actualité locale.
Michel Chemin : « Nous sommes une espèce en voie d’extinction«
Un travail en collaboration avec les journalistes
Chaque semaine, le dessinateur propose trois caricatures aux rédactions pour lesquelles il travaille.
Si le dessin est totalement libre, les sujets lui sont soufflés par les rédacteurs : « Le lundi matin, on m’appelle pour me dire deux, trois sujets importants de la semaine, je dessine ensuite toute la journée et je propose le mardi matin mes productions ». Son inspiration vient surtout du sujet qu’il traite : « Certaines semaines, je passe toute la journée à réaliser mon dessin car l’actualité ne m’inspire pas, d’autres fois, cela est fait en quelques heures à peine.» Si ses productions sont souvent satiriques, aucun des travaux de l’artiste n’a été refusé par les rédactions.
Le texte des bulles est décidé en collaboration avec les journalistes : « En cas de problème, de plainte, le journal peut être embêté, il est responsable de ce qui est publié. Il est donc normal que les textes soient décidés et validés par le rédacteur en chef » explique le dessinateur.
De plus, Michel Chemin fait tout pour ne blesser personne : « Une caricature est drôle si elle est juste et qu’elle n’est pas blessante. Je me refuse à faire des dessins offensant ou désignant une personne ad hominem ».
La double casquette journaliste/dessinateur de Kévin Lourenço
Il est né crayon en main, mais pas que pour écrire. Kévin Lourenço alias Sunto, journaliste à l’édition Hirson-Thiérache (Aisne) de L’Union, a aussi le dessin pour corde à son arc.
Le journaliste publie chaque semaine trois dessins sur la page Facebook de cette édition locale de L’Union, titre de PQR. « C’est un petit bonus. Je me l’impose en plus de mon travail en rédaction.» Ses dessins sont publiés sur la page Facebook du média chaque mardi, jeudi et samedi. « Cela prend parfois du temps, mais j’adore ça. »
Ex-dessinateur en print pour L’Axonais
« J’ai toujours eu la passion du dessin », raconte l’ancien de la filière PHR de l’ESJ Lille, qui avait déjà dessiné pour PHRases, magazine de la promo. « Je me suis grandement inspiré de Charlie Hebdo. Cabu est ma référence ultime.»
Après l’école en 2015, Kévin débute à L’Axonais, hebdo du sud de l’Aisne. « J’ai publié une illustration pour chaque numéro. J’avais un thème par dessin à respecter. Maintenant au moins, je m’autorise une petite part de liberté. »
Kévin, grand fan d’humour : « J’aime faire des dessins satiriques, dans l’esprit de Charlie. Je défends à 100 % l’humour trash et l’humour noir. Ce que je veux transmettre, c’est une caricature humoristique et mordante.» La condition : que l’accroche soit toujours locale, « et que le thème soit pertinent » . L’actu qu’il dessine n’est pas forcément locale : « Il m’arrive de faire référence à l’actu nationale voire internationale, comme dernièrement les morts du Prince Philipp ou de Valéry Giscard d’Estaing. Mais tant qu’il y a un angle local, tout est possible ! »
Domé, enfant de Charlie
7 janvier 2015. Une attaque terroriste frappe Charlie Hebdo. Douze personnes y perdent la vie. Cet événement a lancé l’artiste Domé dans l’aventure du dessin de presse pour L’Abeille de la Ternoise, hebdomadaire du Pas-de-Calais. « Il faut se remettre dans le contexte des attentats », se souvient-il. « Un journaliste de L’Abeille a eu l’idée d’inclure des dessins pour illustrer son article. Cela ne s’était jamais fait dans ce journal ».
Domé a donc répondu présent et a envoyé ses croquis. « L’idée a tout de suite plu aux lecteurs qui ont sûrement vu un peu de modernité. » Lui aussi est séduit. À tel point qu’il devient le dessinateur attitré de l’hebdomadaire. Six ans plus tard, l’artiste-peintre d’Hesdin (Pas-de-Calais) est toujours aussi enthousiaste : « Ma motivation reste la même. Je suis riche de vivre de ma passion. C’est local, et je suis un artiste engagé à faire vivre l’art en milieu rural. »
“J’essaye de provoquer des réflexions”
Domé, de son vrai nom Dominique Poiteaux, travaille dans son atelier hesdinois. Il s’inspire de l’actualité locale, comme dernièrement l’usine Bridgestone, mais rebondit surtout sur des événements nationaux. Sous les coups de crayon, l’artiste met en scène Beebee l’abeille et souhaite traiter de l’actu avec humour, dans l’esprit des Charb ou Cabu, tout en invitant les lecteurs à s’interroger. « Je veux amener les gens à se remettre un peu en question, à provoquer du débat. Ce n’est pas un dessin pour blesser quelqu’un ou attaquer de front sans argument. J’essaye de provoquer des réflexions. Par le dessin, ça passe très bien.»
C’est aussi l’avis du rédacteur en chef de L’Abeille de la Ternoise, Benoît Cailliez : « Il a un regard extérieur à la rédaction et apporte un croquis léger, sans faire de morale. Parfois, un message dans une image vaut mieux qu’un papier de 3000 signes. »
Le rédacteur en chef donne au dessinateur le thème chaque mardi. « Domé fait le dessin qu’il veut, il l’envoie le mercredi matin juste avant le bouclage », ajoute Benoît Cailliez. Beebee se trouve toujours en page 2, grand sourire aux lèvres. En bas à droite, une signature : “Domé”