Cet article rassemble les interventions de Nathalie Sonnac (professeure en sciences de l’information et de la communication Université Paris Pasthéon-Assas), Laurent Guimier (directeur de l’information du groupe CMA Médias), David Assouline (ancien sénateur de Paris, Parti socialiste) et David Guiraud (président du conseil de surveillance du groupe Ouest France) lors du débat sur la concentration des médias animé par Gilles Van Kote (Le Monde), le 26 septembre 2024 au Festival de l’info locale à Nantes.
Des acteurs des médias plus puissants que certains états, des rachats des titres dans tous les sens, des positions politiques qui se radicalisent… Le monde de l’information a rarement été aussi agité que ces dernières années. Mais les regroupements menacent-ils vraiment le pluralisme et la liberté de la presse ?
• David Giraud : « Depuis 34 ans, nous sommes une entreprise à mission. A l’époque, les propriétaires d’Ouest France ont décidé de céder le groupe à une association loi 1901 avec un capital éthique. C’est le premier quotidien national francophone au monde, 3 plateformes avec 360 M de visiteurs chaque mois et bientôt une chaîne de télévision sur la TNT… On soutient le principe de la démocratie humaniste, via une charte signée par tous les salariés. Personne ne peut racheter le groupe grâce à son modèle économique. Ce modèle justement est-il duplicable ? Face au tsunami qui avance, mené par les réseaux sociaux, les marques historiques de presse ont un rôle à jouer. C’est le moment de le faire. On ne pourra pas lutter contre l’hyperpuissance de Musk ou Zuckerberg en étant des nains… »
• David Assouline : « Lorsque j’ai créé la commission d’enquête en 2022, j’ai voulu mettre le sujet de la concentration des médias sur la place publique. On a entendu neuf grands patrons, et obtenu un écho médiatique.Je savais que j’aurai du mal à avoir des positions tranchées sur le sujet. J’ai préféré que les travaux soient rendus avec des compromis pour ne pas aller à la poubelle !
Bien sûr que la concentration est un problème. Mais la démocratie, comme le disait Hugo, c’est le suffrage universel et la liberté de la presse. Aujourd’hui, grâce aux accords, la diversité de la presse est garantie. Mais faire ici le maximum de concentration pour faire face aux Gafam est vain. Ici, il faut avoir des contre-modèles. L’indépendance des rédactions et des journalistes garantie une diversité de l’information. Sans une muraille de Chine entre les actionnaires et les rédactions, alors les premiers peuvent dicter leurs positions aux autres. »
La nécessité de nouer des alliances
• Laurent Guimier : « Dans nos médias, nous construisons beaucoup. Les questions d’indépendance sont au cœur de nos rédactions. La question de la concentration, c’est autre chose. C’est la capacité de nouer des alliances, des accords, de mettre des moyens pour participer au développement de tel ou tel média. Aujourd’hui, les normes et lois sont des freins. La loi de 1986, socle de la régulation dans notre pays, pensée avant l’internet, bloque le développement des télés locales. C’est la même chose en radio, avec des interdictions de concentration, ce mot étant toujours connoté négativement, au sens de stratégie de développement. Le rythme des médias d’aujourd’hui nécessite une révision de la législation… »
• Nathalie Sonnac : « La loi de 1986 est obsolète. Les notions de réductions de coût, de synergie… sont capitales; Le pluralisme est une question essentielle, constitutionnalisé. Mais on n’a pas résolu la question centrale : l’accès et l’économie de ce pluralisme. Ce ne sont pas les aides de l’Etat, quand elles tombent, qui vont le garantir. Aujourd’hui, c’est Google et Méta qui sont hégémoniques qui emportent tout le budget de la publicité. Et qui privent les milliers de télés, radios ou journaux de cette manne financière indispensable. »
• David Guiraud : « La démocratie est menacée par la post-réalité. On va le voir avec la campagne américaine. Comment créer du bien commun, du réel commun, quand on est fracturé ? Quand on regarde les chaînes d’infos de la télévision et la PQR, on n’est pas dans le même monde !
Il faut savoir qui parle (un actionnaire, une famille…) et pourquoi. Il faut aussi générer la confiance, en se fixant des règles dans la façon d’informer. Et non pas en transformant des faits en opinion. Enfin, il y a la puissance. Ce n’est pas celle de l’influence, c’est celle qui mutualise les forces internes, en créant comme nous une télévision complémentaire à nos titres. Et il faut ouvrir aussi à nos confrères pour être plus forts ensemble. Sans oublier de nous lier avec nos voisins européens. On doit investir ensemble, sinon, on n’y arrivera pas… »
La mutualisation et la synergie
• David Assouline : « Le pluralisme, c’est une diversité dans l’information, dans les sources, dans le territoire. A la Libération, 160 quotidiens sont nés, avec une pluralité énorme. Aujourd’hui, on a 52 titres détenus par six groupes. La ligne éditoriale est centrale et unique… Quand la rationalisation, elle se fait loin des journalistes, va-t-on dans le sens d’une amélioration de la qualité de l’information ? La fusion, au lieu de la synergie, appauvrit les rédactions. Des logiques de recherche de la puissance ne doivent pas se faire au détriment de la qualité et de l’indépendance de l’information. Il faut des riches pour avoir des entreprises de presse puissante. Mais il faut mettre des bornes… »
• Laurent Guimier: « Notre groupe a créé un journal papier, en prônant la nuance dans nos colonnes. On fêtera nos un an de la Tribune Dimanche prochainement. On fait des partenariats, et là où on peut mutualiser, notamment pour donner une caisse de résonance aux scoops que dévoilent un de nos médias. »
• Nathalie Sonnac : « Le dispositif anti-concentration ne fonctionne pas ! On est loin de ce l’on a besoin, il faut repenser le dispositif car il ne prend pas en compte les nouveaux acteurs, ceux qui misent sur le numérique. Le dispositif est obsolète ! »
• David Guiraud : « Le propriétaire d’une entreprise de médias pilote un groupe, avec de très lourds investissements. Un directeur de la rédaction doit être un excellent journaliste, mais aussi comprendre les enjeux et être visionnaire. Ce n’est pas simple ! En Angleterre, le board crée un comité chargé de trouver un directeur de la rédaction. Ensuite, il interroge tous les journalistes, de manière confidentielle, pour connaître l’opinion de chacun sur un nom de directeur de la rédaction. Et le board décide… De toute manière, un directeur de la rédaction qui va contre son équipe ne fera pas long feu ! »