« C’est la mort de la presse rurale » : le nouveau désengagement de La Poste fait ressortir les peurs de la PHR

Début mai, une expérimentation de La Poste visant à réduire la fréquence de distribution du courrier va être lancée sur 68 secteurs en France. Encore très dépendante de son distributeur historique, la PHR voit d'un mauvais œil la suppression des tournées quotidiennes.

« C’est la mort de la presse rurale » : le nouveau désengagement de La Poste fait ressortir les peurs de la PHR

Début mai, une expérimentation de La Poste visant à réduire la fréquence de distribution du courrier va être lancée sur 68 secteurs en France. Encore très dépendante de son distributeur historique, la PHR voit d'un mauvais œil la suppression des tournées quotidiennes.
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Pour souhaiter la bonne année, La Poste a livré un colis empoisonné : l’arrêt du passage quotidien du facteur dans 68 zones, à partir de mai 2023.  Dans ces territoires expérimentaux, le courrier ne sera distribué qu’un jour sur deux. Pour le moment, grâce à une loi obligeant La Poste à distribuer la presse 6 jours sur 7les journaux seront préservés de cette distribution alternative. Une réglementation qui ne rassure pas la presse hebdomadaire régionale (PHR), dont 83 % des abonnements sont distribués par La Poste. 

Implantée depuis 1944 à Foix, la Gazette Ariégeoise diffuse chaque vendredi son canard à 2000 abonnés répartis dans toute l’Ariège. Grâce à La Poste. Une partie de ce département rural est concerné par l’expérimentation. « Pour l’instant, on sera toujours distribué, mais ce désengagement progressif de La Poste, c’est la mort de la presse rurale. On a déjà des difficultés, ils vont nous achever« , assène, amère, Cécile Dupont, la rédactrice en chef de l’hebdomadaire indépendant.

La PHR ne peut se passer du postage à l'heure actuelle. Crédit : baromètre 1er semestre 2022 de l'Alliance de la presse d'information générale / ACPM

La pression du portage

L’inquiétude ne se cantonne pas à ce petit coin d’Occitanie. Vincent David, président du Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (SPHR), n’est lui non plus, pas tout à fait rassuré. « On est inquiets car on est très dépendants de La Poste (31% de la diffusion totale vient du postage). Si le mouvement s’amplifie, nous serions dans une mauvaise situation. » Pour autant, celui qui dirige quinze hebdomadaires ne se veut pas alarmiste. « La Poste ne veut pas notre mort. Ils ont leurs propres enjeux (le nombre de courriers est passé de 17 milliards en 2008 à 8 milliards en 2020, NDLR), la pression de l’Etat et des concurrents. Pour l’instant, je n’envisage pas l’arrêt de la distribution postale, la loi nous protège« . Une certitude qui ne l’empêche pas de se méfier du discours officiel de l’entreprise du service public : « Ils nous répètent qu’il n’y a pas à s’inquiéter. Après, on sait qu’ils peuvent entretenir un double discours. »

Contactée, La Poste nous a renvoyé vers le point presse de Philippe Dorge, le directeur général adjoint, réalisé début décembre. Il affirmait notamment « maintenir la distribution 6j/7 pour la presse« , et que l’expérimentation avait pour objectif « d’aménager le chemin que prend le facteur ». 

« On a des zones de cinquante kilomètres avec deux abonnés, qui va vouloir monter des sociétés de  portage ? » 

Cécile Dupont, directrice de la Gazette ariégeoise

Ce qui fait douter le monde de la PHR , c’est bien l’évolution générale. Très lourd financièrement pour La Poste (296 millions d’euros en 2020) et l’Etat (96 millions d’euros d’aides de compensation pour La Poste), le postage est de moins en moins subventionné. Au contraire du portage. En février 2022, un accord a été signé entre les groupes de presse, le ministère de la Culture et La Poste, qui à terme vise à davantage flécher les aides vers les journaux privilégiant le portage. Ce choix vient poursuivre une tendance. Entre 2021 et 2022, le portage a augmenté de 21% (source : ACPM) en PHR, perçu comme plus sûr, et plus rapide (voir encadré).

Un coût trop élevé

Sauf qu’il n’est pas envisageable pour l’ensemble des 250 titres de PHR. Si certains distribuent dans de grands pôles urbains ou profitent des systèmes de portage de la PQR – 87% des abonnements des quotidiens sont portés -, d’autres (la majorité) sont diffusés dans des territoires à faible ou très faible densité. A l’image de la Gazette Ariégeoise. Dans ce département montagneux, la densité (31,3 hab/km2) est trois fois inférieure à la moyenne française et Pamiers, le plus gros pôle, ne dépasse pas les 16 000 habitants (commune). « On a déjà étudié cette possibilité. Il y aurait une centaine de nos abonnées pour qui ça pourrait le faire. Mais on a des zones de cinquante kilomètres avec deux abonnés, qui va vouloir monter des sociétés de portage ? » s’interroge Cécile Dupont.
Patricia Panzani, directrice adjointe en charge des sujets vente et distribution à l’
Alliance de la presse d’information générale, résume ce double enjeu : « Il faut promouvoir le portage car c’est plus fiable, ça permet de garder davantage ses abonnés. Mais dans les zones peu denses, ce n’est pas toujours possible, et il faut maintenir ce réseau postal. »

La presse quotidienne (à gauche de l'image) régionale dépend davantage de ses abonnés que la presse hebdomadaire (à droite). Crédit : baromètre 1er semestre 2022 de l'Alliance de la presse d'information générale / ACPM

Avec pour premier frein, le coût du portage. « Ce ne sera pas rentable pour une société privée et ça nous coûterait beaucoup trop cher« , explique celle qui dirige le journal ariégeois depuis 1996. Actuellement, le service proposé par le service public lui coûte 20 000 € à l’année. Un chiffre qui a tendance à augmenter. 

Cette pression du portage s’accumule aux autres problèmes que connaît la presse locale. « Les points de vente se raréfient« , souligne David Vincent. Entre juin 2021 et juin 2022, 284 ont disparus. Et la transition numérique se fait sentir assure le président du SPHR. « On nous dit qu’il y a le numérique, mais les gens sont attachés au papier. Ils reçoivent le vendredi (quand tout se passe bien), ils le lisent le week-end et le font passer à leur parent le lundi« . Encore faut-il que la factrice passe chez l’abonné le jour de publication.

Les retards de La Poste font perdre des abonnés

« On a quelqu’un au bureau qui passe son temps à répondre aux abonnés pour qui le journal n’est pas arrivé« , peste Cécile Dupont. En Ariège, chaque semaine, des journaux ne sont pas livrés avant le lundi ou le mardi. Ces retards, qui sont sources de frustration pour le lecteur. « Quel est l’intérêt d’un quotidien s’il arrive à 14h, ou si un hebdo arrive avec trois jours de retard ? On a déjà toutes les infos« , fait remarquer Patricia Panzani. Ces retards – qui sont « très localisés« , à en croire Vincent David » ou La Poste qui garantie un taux de satisfaction de 92 à 97% – ont pour répercussion de faire perdre des abonnés. « On constate un meilleur taux de rétention avec le portage. Déjà, il y a moins de retard et s’il y a un retard, l’explication est beaucoup plus rapide pour le lecteur. » 

Baptiste Raclot

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