Entre pression politique, manque de moyens financiers et évolution de l’IA, Pierre Petillault, directeur général chez l’Alliance de la presse d’information générale, s’inquiète de l’avenir de la loi de 1881. (Interview réalisée débuit juin 2024)
Avec les législatives et la possible arrivée au pouvoir de l’extrême-droite, ressentez-vous une certaine appréhension pour la liberté de la presse ?
Oui, le Rassemblement National (RN) à ce fond idéologique pouvant faire craindre des atteintes aux libertés de la presse. Pourtant, il y a aussi des gens du RN qui disent être attachés à la liberté de la presse et à une forme de pluralisme. Le parti d’extrême droite veut aussi rééquilibrer les choses avec des médias qui portent leur parole comme avec le groupe Bolloré. J’ai aussi entendu des éditeurs, dont certains pas du tout de droite, dire qu’à un moment, “on ne peut plus passer à côté du quart de Français dont l’opinion n’est pas du tout représentée dans la presse”.
Cela pose-t-il aussi question sur le rapport des médias avec les politiques ?
En effet, surtout avec l’amendement que l’Assemblée nationale avait adopté en avril pour passer à un an le délai de prescription pour les délits de diffamation, au lieu de deux mois. Heureusement, ils ont retiré cette proposition. Mais encore une fois, on offre un statut privilégié aux élus et aux candidats. C’est le symptôme d’un moindre attachement des élus et des politiques à la liberté de la presse. On le sent dans notre relation avec eux. C’est le cas des mairies avec des élus du RN dans le Nord qui vont inonder de droits de réponse des titres de presse dès qu’ils écrivent quelque chose sur eux. Il y a une volonté de contrôle assez forte.
Le 7 mai dernier, la Commission européenne a mis en place le règlement European Media Freedom Act avec plusieurs mesures pour protéger l’indépendance et la liberté des médias. La première version du texte n’avait pas fait l’unanimité…
Le règlement avait pour idée d’adopter un modèle très scandinave où la rédaction est indépendante de tout ce que peut décider ou faire la hiérarchie. Là non plus, on n’a pas tenu compte du modèle français et de la loi de 1881. Nous nous sommes donc opposés à ce premier texte, car on enlevait toute responsabilité aux directeurs de publication. On va voir ce que donne cet amendement. Les textes européens sont toujours subtils avec les traductions : publisher, editor, editorship. Et comment traduit-on le directeur de publication en anglais ? Ce règlement fait bouger les lignes.
« Il y a une volonté
de contrôle assez forte..»
Pierre Petillault
Un autre défi concernant la loi de 1881 vous inquiète-t-il ?
La première menace pour la liberté de la presse, elle est économique. La PHR subit une pression économique massive avec des pertes de recettes importantes. Il y a un enjeu sur les difficultés à financer le journalisme. La loi de 1881 est également menacée par la pression et la censure des plateformes numériques. Maintenant, on leur accorde un droit de censure au nom de la lutte contre la haine en ligne. Les éditeurs n’ont pas été entendus sur ce sujet. Là, on se retrouve derrière une porte close et on ne sait pas qui fait quoi. On nous dit que les plateformes doivent examiner la fiabilité des éditeurs d’informations. C’est complètement lunaire.
