Il reste encore du chemin à parcourir. Pour fêter son deuxième anniversaire en mars 2022, le jeune média Vert.eco a proposé à ses lecteurs de participer à l’écriture d’un « manifeste pour une écologie médiatique ». Six mois plus tard, il publie un texte plus durable, la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique. En 13 points, celle-ci guide les journalistes pour un meilleur traitement des sujets environnementaux. Loin d’être un texte moralisateur, elle propose des grandes lignes qui, une fois suivies, permettent aux médias de répondre à l’enjeu climatique. L’objectif étant aussi de lutter contre la désinformation qui entrave une potentielle prise de conscience.
Journalistes, rédactions ou écoles de journalisme, l’initiative a séduit et trouvé un écho dans la profession. Avant même son lancement, la charte était signée par « 500 journalistes et quelque 50 rédactions » (dont RFI, France 24 et Mediapart), rapporte Loup Espargilière, rédacteur en chef de Vert.eco sur le site du média. « J’ai souscrit bien volontiers parce que je suis totalement en accord avec cette charte », glisse Olivier Aballain, directeur des formations et co-responsable du master Climat et Médias de l’École supérieure de journalisme de Lille. « Les journalistes ne doivent plus seulement angoisser avec des constats, mais anticiper et proposer des manières de réagir. » Le quatrième point de la charte appelle d’ailleurs à un arrêt de la culpabilisation individuelle.
Si l’école reste toujours prudente dans ses prises de position, Olivier Aballain estime que son contenu « partage des recommandations et mieux encore, des perspectives » qui rectifient « une situation de frustration ». Les 13 points concrets comptent, en effet, modifier la façon de travailler des journalistes et intégrer pleinement cet enjeu dans le traitement de l’information. En dépit d’un engouement indéniable, d’autres rédactions se sont montrées plus frileuses et ont choisi de rédiger leur propre charte. Même si « la charte de Vert.eco a contribué à lancer un mouvement et a reçu l’audience souhaitée », selon Olivier Aballain, elle n’est « pas exclusive » et si d’autres rédactions souhaitent rédiger leur propre version, « tant mieux ».
Trois ans pour se former
En février dernier, c’est le quotidien Ouest-France qui annonce se doter de sa propre charte pour un journalisme au niveau de l’enjeu de l’urgence climatique. Edouard Reis Carona, rédacteur en chef du journal, témoigne : « Les questions environnementales ont toujours fait partie du projet éditorial de Ouest-France et on a souhaité l’inscrire dans le dur. On l’a fait comme on a l’habitude de faire. D’abord en discutant entre nous, puis en écrivant notre propre charte, qui engage nos rédactions et nos journalistes. »
En plus d’une forte volonté d’indépendance du titre, Edouard Reis Carona relate aussi que plusieurs éléments de la charte « ne leur correspondent pas ». Comme le fait « d’assurer l’autonomie éditoriale par rapport aux propriétaires des médias », alors que le groupe SIPA Ouest-France est détenu à 100 % par une association loi de 1901.
« Ils ont signé leur propre charte
et ensuite publié un dossier entier sur TotalEnergies.»
Eva Morel, co-présidente de QuotaClimat
Le point numéro 10 de la charte demande clairement de s’opposer aux financements issus des activités les plus polluantes. Le rédacteur en chef estime qu’il ne faut pas « interdire un annonceur », mais surveiller « le message ». « Si Total fait une publicité pour annoncer un rabais de prix de l’essence, c’est une information commerciale en proximité qui a un intérêt et il n’y a pas de raison qui nous pousse à l’écarter. En revanche, on écarte les publicités qui font du greenwashing(*) », explique-t-il.
Depuis la signature de sa propre charte, le groupe Ouest-France a lancé une formation pour ses journalistes, afin de leur apprendre à traiter ces sujets, dans le respect des points de ce compromis, car il n’est « que la partie visible de l’iceberg ». « Il va nous falloir trois ans pour former tous nos journalistes », constate Edouard Reis Carona. « On met aussi à disposition de nos journalistes une boîte à outils pour les aider. » Le média a également mis en place des rencontres pour ses salariés avec des professionnels du climat. « La prochaine sera avec un glaciologue, précise le rédacteur en chef. C’est une montée en compétences qui nous a, par exemple, permis de sortir une enquête sur le potentiel greenwashing de la manifestation des 24 Heures du Mans, événement dont nous sommes partenaires. »
Un souci de transparence
« On commence à s’habituer, mais on a encore du chemin à faire », conclut le rédacteur en chef avant d’ajouter : « Cela passe par mesurer notre propre empreinte carbone et surtout ne pas être anxiogène dans nos articles. »
La rédaction du groupe de presse EBRA, propriété du Crédit Mutuel, a décidé de ne pas signer la charte non plus. « Nous sommes farouchement attachés à notre indépendance », justifie Xavier Antoye, rédacteur en chef du journal Le Progrès, appartenant au groupe concerné. En revanche, il assure être conscient qu’il est « nécessaire de se doter d’une charte », dans « un souci de transparence avec les lecteurs ». Une charte propre au groupe est en chantier, même s’il confie s’être surtout concentré sur le mensuel “Ici on agit ” lancé en 2020 et qui relate des initiatives écologiques mises en place dans le secteur.
Risque de greenwashing
Eva Morel est coprésidente de l’association QuotaClimat, qui milite pour une plus grande place de l’enjeu climatique dans l’agenda médiatique. Le collectif était présent aux réunions de lancement de la charte. Si elle salue l’initiative, elle considère « qu’une charte ne peut pas tout ». Telle une goutte d’eau dans l’océan. Pour elle, ce texte ne peut être efficace sans formation des étudiants en école de journalisme et sans cadre législatif. Il faut que tous les journalistes s’en emparent et que ces sujets soient traités avec la même importance dans toutes les pages des journaux. « Les journalistes qui ont écrit cette charte ne sont pas des militants écologistes comme certains le pensent. C’était juste nécessaire », lance la coprésidente.
L’association n’est pas dupe sur le risque de greenwashing que comporte la signature d’un tel texte. Eva Morel cite par exemple le groupe Sud Ouest : « Ils ont signé leur propre charte et ensuite publié un dossier entier sur TotalEnergies », montrant que l’entreprise est « un poumon de l’économie béarnaise », « une des explications à la relative bonne santé » de ce morceau des Pyrénées-Atlantiques. Signer une charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique ne dédouane ainsi en rien la presse, ce n’est qu’un premier pas vers un meilleur traitement.
Finalement, qu’ils choisissent ou non d’adhérer à la charte, la volonté de s’engager en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique est plutôt palpable dans le paysage médiatique, même si, le chemin est encore long et sinueux. Aujourd’hui, la responsabilité des médias face à cet immense enjeu est indéniable. Et notamment celle des médias de proximité. Pour Edouard Reis Carona, « les médias ont un rôle central » et « le temps de l’à-peu-près est révolu ». Il est important « d’informer de la commune au monde puisque les questions climatiques transgressent les frontières d’un territoire ». Olivier Aballain considère, lui, que les journaux de presse locale ont « un énorme potentiel ». Il termine : « Ils sont une des clés. »
Emma Madani & Solveig Le Gat
(*) Le greenwashing est une stratégie de communication utilisée par des entreprises visant à utiliser des arguments écologiques pour se donner une image éco-responsable trompeuse.