Où sont les femmes ? La chanson de Patrick Juvet prend tout son sens quand on essaye de trouver des journalistes sportives en presse écrite dans des journaux de proximité. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Quatorze, c’est le nombre de ces journalistes recensées dans l’annuaire de l’association des femmes journalistes de sport. Quatorze professionnelles inscrites sur 239. Quatorze et aucune en presse hebdomadaire. Quatorze et le nombre de cheffes dans une rédaction sportive de presse quotidienne se compte sur deux doigts.
Tous médias confondus, elles seraient entre 10 et 15 % en France, selon Nicolas Delorme, membre du think tank Sport et citoyenneté. Il s’est penché sur l’information sportive et les questions de genre qui y sont liées. Il a constaté que les journalistes de sport étaient plus nombreuses à la télévision, car ce média concentrerait le plus de pression politique. Et la presse locale alors ? Les freins sont-ils plus nombreux pour y devenir une journaliste spécialisée dans le domaine sportif ?
« On sait que ça va être plus dur pour nous parce qu’on est des femmes. On se prépare mentalement avant d’entrer dans le métier. »
Julie L’Hostis, journaliste sportive à Sud-Ouest
Julie L’Hostis est journaliste à Sud-Ouest depuis trois ans. Elle a pleinement intégré la rédaction sportive en 2022. Cela faisait dix ans qu’aucune femme n’y avait occupé de poste. « Le journalisme sportif est usant. On travaille le soir et les week-ends pour couvrir les manifestations sportives », souligne Aline Chatel, rédactrice en chef de port à Caen et seule femme à couvrir le sport en Normandie. « Ce sont des postes qui tournent beaucoup. La plupart des gens restent cinq ans. C’est difficilement compatible avec une vie de famille, même si ça se fait », note Stéphanie Freedman, freelance qui suit l’Olympique de Marseille en parallèle de son poste de cheffe du pôle magazine du journal l’Alsace.
Se créer sa chance
Devenir journaliste sportive, c’est aussi une question d’opportunités et de savoir les provoquer, d’après Lisa Lasselin, journaliste vidéo à la Voix du Nord. « Je n’ai pas été engagée pour faire du sport. Je devais juste faire de la vidéo pour alimenter les papiers et faire des contenus natifs.
J’avais en tête depuis quelque temps de suivre l’équipe de football
féminine de Roubaix-Wervicq. J’ai parlé du projet à ma rédactrice en
cheffe quand j’ai senti que c’était le bon moment et elle m’a donné le feu vert pour réaliser une série de 10 épisodes sur ces joueuses. On m’a dégagé du temps sur mon emploi du temps pour ce faire et j’ai pu mettre mon premier pied dans le journalisme sportif. J’en ai découvert les bons et les mauvais côtés. J’ai pris conscience que je voulais faire plus de reportages comme celui-ci. »
Aline Chatel, elle, a créé sa chance dès ses 13 ans en montant un site internet qui suivait l’actualité du club de foot de Caen. Après ses études, elle a créé son média indépendant en parallèle d’un job alimentaire : Sport à Caen, dont elle est la rédactrice en cheffe. Désormais, elle s’y consacre à plein-temps.
Consoeurs dans la solitude
Les quatre journalistes interviewées ont en commun la poigne, l’esprit de compétition et l’amour du sport. C’est d’ailleurs la passion qui les fai ttenir face à l’adversité et la solitude. Étant minoritaires dans les rédactions, elles se retrouvent souvent seules représentantes de la gente féminine lors des matchs et autres conférences de presse. Elles doivent faire face au sexisme et au machisme de collègues, confrères et interviewés.
« C’est important pour moi de m’entourer comme je suis tout le temps seule en locale. Je sais que j’ai un collègue avec qui je peux parler de tout », apprécie Julie L’Hostis. « Je vais souvent rencontrer des consœurs lors d’événements rassemblant les journalistes comme le congrès des syndicats des journalistes de sport. Je les retrouve et on parle de ce qu’il nous arrive en rédaction et sur le terrain. Ça fait du bien. »
Un sexisme bouillonant
Quels comportements subit-on quand on est journaliste sportive ? Cela varie en fonction de chaque personne et de chaque expérience. Pourtant, les témoignages se ressemblent. Infantilisation, remarques déplacées sur le physique, condescendance, drague lourde… la liste est longue.
« On m’a déjà fait une remarque sur ma poitrine », se souvient Stéphanie Freedman. Julie L’Hostis, quant à elle, faisait attention à la façon dont elle s’habillait quand elle se rendait au stade. Une époque révolue. « Maintenant, quand il fait 25 degrés, je mets des robes et des shorts. J’ai la flemme d’avoir trop chaud juste pour éviter des regards ou des réflexions. J’ai constaté que plus je l’assume, moins on va me faire chier. » Lisa Lasselin aussi éprouve de la colère. Elle a présenté ses sujets sur l’équipe féminine de foot de Roubaix-Wervicq en face cam et voix off.
« Un collègue m’a dit que je faisais grosse dans ce sweat, que j’aurais pu m’habiller plus sexy pour faire de l’audience. Il avait la trentaine… »
Lisa Lasselin, journaliste vidéo
Les remarques viennent de toutes parts et cela a surpris Julie L’Hostis. « Je m’étais blindée concernant les attitudes des joueurs, entraîneurs et présidents de club, mais je ne m’attendais pas à ce qu’elles puissent aussi venir de confrères. C’est pesant, car c’est tous les jours. A la rigueur, les interviewés on ne les voit qu’une à deux fois par semaine, donc c’est moins pénible. »
« On est un physique de femmes avant d’être des journalistes »
L’hypersexualisation de la femme entraîne des comportements qui ne devraient pas avoir lieu de la part d’interviewés et de collègues. « Pour un peu que l’on ne soit pas difforme, les hommes sur le terrain sportif vont vouloir s’adresser à nous, car on les intéresse, certains vont décider de ne pas nous parler, quand d’autres ne vont pas nous prendre au sérieux. On est un physique de femme avant d’être journaliste », martèle la journaliste à Sud-Ouest.
« Le jour où on passera inaperçue sur un terrain, on aura gagné »
Julie L’Hostis, journaliste sportive
» Ils vont aussi se permettre de nous dire des choses qu’ils n’auraient pas dites à un collègue homme. J’ai déjà eu des appels moralisateurs de la part d’interviewés, car un article n’avait pas plus », se souvient la rédactrice en chef de Sport à Caen. « Ils se le permettent, car ça fait 25 ans que je les côtoie sur le terrain, mais je ne suis pas sûre qu’ils auraient dit la même chose à mon collègue de Ouest France. »
Stéphanie Freedman se sent sans cesse jaugée et scrutée. « “Tu as une piste ? Tu vas poser quoi comme questions?” On m’aborde souvent pour me demander cela quand je suis l’OM », explique-t-elle. « C’est infantilisant », termine Aline Chatel.
Une bataille d’égo
Peu importe les orgueils et les revers, ces femmes font leur travail. Et cela ne plaît pas à tout le monde. « Les hommes se sentent en danger, car c’est “leur terrain” et qu’on est aussi compétentes qu’eux », analyse la journaliste de l’Alsace. « Une fois, j’ai posé une question à Igor Tudor, l’entraîneur de l’OM, à l’occasion d’une conférence de presse d’avant-match et elle a fait le buzz. Ça a fait causer parmi mes confrères rédacteurs sportifs. Moi, j’étais super fière. »
Cette problématique de légitimité féminine est prégnante dans le milieu du journalisme sportif. « Certains collègues comme interviewés nous croient incapables et nous réexpliquent continuellement des choses qu’on fait déjà tous les jours. A croire qu’on débarque », s’insurge Julie L’Hostis
Cette problématique de légitimité féminine est prégnante dans le milieu du journalisme sportif. « Certains collègues comme interviewés nous croient incapables et nous réexpliquent continuellement des choses qu’on fait déjà tous les jours. A croire qu’on débarque », s’insurge Julie L’Hostis.
La jalousie masculine vient s’ajouter aux commentaires auxquels certaines journalistes sportives en presse de proximité font face. « On est plus en connivence avec les joueurs, entraîneurs et présidents. Ils sont plus détendus et sympas quand ils répondent à nos questions. Ils en dévoilent plus. C’est un motif de jalousie », remarque Stéphanie Freedman allant jusqu’à qualifier cela d’un atout propre aux journalistes sportives femmes. « Mais il faut faire attention, parce qu’une personnalité forte comme Igor Tudor, ça remballe aussi sec. »
La proximité, une ambivalence
Julie L’Hostis croise souvent des joueurs quand elle sort le soir dans les bars du Sud Ouest. Là, entre drague et orgueil, elle devient funambule et marche sur un fil pour conserver ses contacts professionnels.
« Quand ils m’invitent à boire un verre, je leur fais comprendre que si c’est pour autre chose que du professionnel, c’est non. C’est a double tranchant, car certains arrêtent de me parler après et c’est tout un travail pour pouvoir les interviewer à nouveau. »
Julie L’Hostis, journaliste sportive
Ce genre de situation est d’ailleurs propre aux localiers et localières « On a des relations privilégiées avec les acteurs de l’information quand on est en presse de proximité », analyse Aline Chatel. « On les croise plus souvent dans le cadre pro comme perso. Certains deviennent des amis. C’est un jeu d’équilibriste tout au long de cette relation de journaliste à interviewé où on doit garder notre crédibilité et notre impartialité. »
Les femmes gagnent du terrain
Comment régler ces problématiques comportementales ? Julie L’Hostis apporte sa réponse. « Plus il y aura de femmes dans les rédactions de sport, moins les comportements et propos déplacés seront courants. »
La journaliste de Sud Ouest a constaté ce phénomène au sein même de sa rédaction. Depuis qu’elle l’a intégré, les hommes font plus attention à ce qu’ils disent.
« C’est moins le concours de qui pisse le plus loin. »
Julie L’Hostis, journaliste sportive
Julie L’Hostis essaye de faire preuve de patience et de pédagogie lorsqu’elle est confrontée à des commentaires déplacés. « J’ai du caractère. Je ne me laisse pas faire. Quand on me dit quelque chose de déplacé ou limite, je ne réagis parfois pas sur le moment, en raison de la surprise. Mais les jours suivants, je vais crever l’abcès et expliquer pourquoi on ne peut pas dire ce genre de chose. J’essaye de beaucoup communiquer et d’être pédagogue. C’est une fatigue psychologique que les hommes n’ont pas. »
«Malgré ces désagréments, les quatre journalistes interrogées sont d’accord sur les avantages d’être une femme dans le journalisme sportif. Un autre regard sur l’information, plus d’humanité avec des angles innovants dans les papiers, se distinguer parmi les hommes lors des conférences de presse et interviews sont autant d’aspects qui les distinguent de leurs homologues masculins.
« On a besoin de modèles de femmes qui réussissent dans le journalisme sportif »
Les journalistes sportives interviewées
Voici le message qu’elles veulent transmettre à celles qui n’osent pas se lancer : « Tu aimes le sport, donc tu y arriveras ! »
Cloé VANONI
Lire ausssi : Encadrement dans la presse locale : Où sont les femmes ?