Comment faire basculer ses abonnés du print vers le numérique ? Voilà la question qui taraude depuis des années toutes les rédactions de France et de Navarre, confrontées à une érosion permanente de leur lectorat. La question se pose aussi de l’autre côté des Alpes, dans le canton de Lausanne, et plus précisément à la rédaction du vénérable quotidien local, 24heures. Le média créé en 1762 a troqué en 1972 son nom original La Feuille d’avis de Lausanne pour son actuel patronyme.
Dans le quotidien helvéte du groupe Tamédia, comme partout ailleurs, c’est encore la version print qui assure la trésorerie, mais Claude Ansermoz, son rédacteur en chef, voudrait bien que l’ajout du « .ch » à la fin du titre devienne le réflexe, notamment pour les abonnés… Alors, pour cela, il a eu l’idée de prendre les lecteurs par la main, et de les inviter au sein de la rédaction pour qu’ils comprennent comment aller vers la version numérique, comme l’a remarqué le « journaliste couteau suisse » Jean AbbiatecI.
🇨🇭Dans la série « les idées les plus simples sont les meilleures »...
— Jean Abbiateci (@JeanAbbiateci) March 2, 2024
Pour aider ses lecteurs « print » à se mettre au numérique, le quotidien vaudois @24heuresch leur propose de passer prendre un café — sans besoin de prendre rendez-vous — et les accompagne dans cette mue. pic.twitter.com/tgiQuLCm6X
« Tout a commencé lors de la crise du Covid« , note Claude Ansermoz. « Avec le confinement, de plus en plus de lecteurs ont voulu passer au digital, car ils ne pouvaient pas sortir pour acheter leur journal. » Et les abonnés traditionnels eux-aussi, peinaient à réaliser cette transition numérique.
« On essayait de faire cela par téléphone, mais à chaque fois, c’était 2à à 40 minutes d’explications parfois vaines, qui, souvent, débouchaient sur un échec. Le lecteur était frustré, tout autant que nous et notre service technique…«
Alors, le journal tente une autre méthode : les rendez-vous personnels, par exemple à une sortie d’autoroute, pour pas que les lecteurs ne fassent trop de route. Efficace mais extrêmement chronophage. « Bref, on s’est dit qu’on allait faire des réunions, à la rédactions, autour d’un café. » Le journal publie donc des annonces à la manière de publicités, pour convier les abonnés à participer à ces échanges. Et le résultat est bien loin des espérances : les visiteurs se comptent sur les doigts d’une main.
Tout ça jusqu’en février 2024, lorsque Claude Ansermoz se décide à écrire un court texte, « Mon “24 heures” est aussi digital », publié dans les colonnes du quotidien. « Un carton ! On est passé de 3 à 90 personnes lors de la rencontre du 7 mars. On ne s’y attendais pas du tout ! A tel point qu’il a fallu que je me mette à leur faire le café pour qu’on puisse s’occuper de tous !«
Un rédac-chef qui sert le café, et voilà un petit buzz qui se lance ! « On a transformé ce moment en vrai rendez-vous qui devient désormais mensuel« . « Aujourd’hui, complète-t-il après une réunion d’avancée sur le projet qui a eu lieu ce jeudi 21 mars, « on veut développer cela, dans une espèce de cours d’apprentissage du numérique.«
Les visiteurs, certes, ne sont pas très jeunes : « en majorité des abonnés qui ont au minimum 70 ans« , mais ce sont des fidèles du titre qu’il convient de ne pas oublier dans la mue de 24 heures vers le numérique. Et ils qui se complètent parfaitement avec les autres types de lecteurs, ceux qui, plus jeunes, fréquentent la plateforme mais dont le nombre doit croître.
« On a essayé comme tout le monde d’aller récupérer des lecteurs à droite et à gauche : avec des newsletters, via de la fragmentation d’audience… Au delà de ces expériences, ce qui compte, c’est de se retrouver dans un même lieu, en contact direct avec les lecteurs. Cela génère un capital sympathie… On propose du physique pour aller vers le numérique. Et prendre du temps, c’est important.«
24 heures n’en est pas à son coup d’essai : avant le Covid, le titre organisait des visites de sa rédaction à Lausanne. Et, après les réunions d’explications sur le passage au numérique, il ne compte pas en rester là. « Nous avons encore un large pool de photojournalistes dans la rédaction, et nous allons mettre en valeur leur travail via des cartes blanches et des expos itinérantes. Et puis nous accueillons aussi le public lors de débats politiques ou économiques. » Autant de manières de multiplier le contact, en allant physiquement vers les lecteurs et les invitant à venir dans la rédaction.
